Mardi 15 mars
Gérard Bapt, député socialiste :
«Je ne pense pas que la Russie cesse d’intervenir contre Daesh et le Front Al-Nosra. Ce n’est pas un hasard que cette annonce intervienne à l’ouverture des négociations à Genève. C’est pour mettre au pied du mur tous les protagonistes du conflit : Bachar el-Assad, la Turquie, les Américains et les Iraniens. Je pense que, de concert avec les Américains, Vladimir Poutine ne veut pas être engagé plus avant dans ce qui ressortirait d'un conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Il veut se limiter à la scène syrienne et la stabiliser».
Eric Coquerel, coordinateur politique du Parti de gauche :
«Les objectifs militaires auraient été atteint et la Russie estimerait que le danger représenté par Daesh est moindre. C'est nécessaire et positif : il faut passer maintenant par les négociations les accords à Genève. Ce retrait est peut-être aussi fait pour faciliter ces négociations puisque, pour nous, la question syrienne devrait être réglée dans le cadre de l'ONU. Si l'objectif est de faciliter ces accords, on ne peut le prendre que de manière positive.
Manifestement les bombardements ont permis de limiter, si ce n'est d'arrêter, tout le trafic de pétrole auquel se livrait Daesh et qui était une source considérable de revenus financiers. En outre, des coups très durs ont été portés à l'Etat Islamique. Depuis quelques semaines on sent clairement que la situation de Daesh est fragilisée.
Mais on ne pourra pas régler cette situation sans passer par une résolution de l'ONU et sans que toutes les parties concernées soient inclues dans ce processus, que ce soit le pouvoir syrien, l'opposition démocratique, les Kurdes syriens et les autres pays de la région.
Il faut qu'il y ait une coalition sous l’égide de l'ONU qui agisse pour débarasser cette région et le reste du monde de la menace terroriste».
Yves De Kerdrel, rédacteur en chef de Valeurs Actuelles
«Je trouve que c'est une réaction tout à fait rationnelle du président Poutine. Il a stoppé l'offensive de Daesh et des rebelles djihadistes, beaucoup de choses ont été réglées sur le plan diplomatique et notamment la mise en place d’un cessez-le-feu.
Le président Poutine a montré qu’à la différence d’autres grandes puissances, notamment les Etats-Unis lors de la guerre en Irak, il intervenait ponctuellement pour régler un problème et qu’une fois que le problème était réglé, il s’en allait et retirait ses troupes. Cela a été une action parfaitement menée sur le plan militaire.
Le président Poutine a donc agi de manière extrêmement rationnelle et c’est un exemple d’intervention militaire réussie que doivent retenir tous les Occidentaux.
L’avenir de la Syrie dépend de la conférence inter-syrienne qui a commencé aujourd’hui mais il existe un gouvernement syrien, avec Bachar el-Assad comme président légitime réélu il y a deux ans pour un mandat de sept ans. Il va y avoir des élections législatives dans quelques mois, il y a déjà de nombreux candidats déclarés, ce qui montre qu'il y a une vraie démocratie en Syrie, contrairement à ce que racontent un certain nombre de medias occidentaux».
Lundi 14 mars
Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes :
«Je suis le premier surpris et je me demande s’il s’agit d’un véritable retrait ou si c'est juste l'annonce du début d'un retrait et surtout si ce retrait signifie une diminution de l'engagement de l’aviation russe. Pour l'instant cela me paraît surprenant que les Russes mettent fin à leurs opérations avant la reprise de Palmyre. Finalement, Alep n'a pas été totalement reprise par le régime syrien, à Racca, les forces syriennes sont très loin, à Deir ez-Zor, il y a une dynamique laissant penser que le ville pourrait tomber aux mains de l’EI. Il n'y a qu’à Palmyre que les forces syriennes sont difficilement entrées à l'ouest de la ville. S’agissant du Front Al-Nosra, Idleb est toujours entre les mains d'Al-Nosra et de ses alliés. Il n’y a que le littoral alaouite qui a véritablement été sécurisé, [mais] pour le reste, cela me paraît surprenant que la Russie mette fin à ses bombardements car cela signifierait un retour des rebelles, modérés ou radicaux, et un retour de Daesh sur le front contre le régime.
Je vois mal les Occidentaux prendre le relais des Russes pour bombarder les djihadistes, même si c’est un scénario possible. Je n’en suis pas convaincu parce que cela voudrait dire que les Américains traiteraient Bachar el-Assad comme un allié, ce qui n’est pas encore le cas».
Dominique Jamet, vice-président de Debout la France, journaliste et écrivain :
«Cette décision a surpris tout le monde. Mais il est clair que ces dernières semaines, le gouvernement syrien avec ses alliés – iraniens, libanais, russes – a marqué des points, a repris le contrôle de zones assez importantes et semble en mesure maintenant de lancer des contre-offensives. L’initiative semble avoir changé de camp.
De plus, les initiatives de plus en plus nombreuses, violentes et diverses de Daesh pour transposer son combat sur d’autres théâtres d’opération pourrait vouloir dire que les djihadistes considèrent que la guerre ne tourne pas à leur avantage sur le terrain du classique affrontement militaire et qu’ils compensent cette défaite.
La décision russe étonne manifestement l’opinion mondiale. Ses partenaires ou ses adversaires ne s’attendaient pas à une décision aussi forte car elle coupe court aux soupçons d’interventionnisme russe. C’est le signe d’une volonté d’apaisement de la part de la Russie».
Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans les questions militaires, stratégiques et internationales :
«C'est avant tout un geste politique de la part de Vladimir Poutine, qui plus est le jour où les négociations pour une résolution politique du conflit reprennent à Genève. C'est une façon pour la Russie de mettre une grosse pression sur le président Syrien Bachar el-Assad et de lui dire : «On t'a sauvé la peau, maintenant il va falloir que tu fasses des compromis». Il s’agit donc avant tout d’un geste politique en direction du régime syrien.
Si le but réel de l'opération c'était de sauver le régime, c’est réussi. Si l'objectif était de détruire Daesh, comme l'avait annoncé le Kremlin, on n’y est pas. Tout dépend des objectifs qui étaient fixés.
C'est à cause des pourparlers qui ont lieu à Genève que cette annonce a eu lieu et parce que les Russes et les Américains ont décidé de faire avancer les choses. C'est une façon de peser sur le régime en lui disant que maintenant il faut vraiment discuter et trouver une solution politique, parce que ça ne peut pas durer plus longtemps. Ce n'est pas une coïncidence, c'est un rapport de cause à effet».
Thierry Mariani, député des Français de l’étranger (Les Républicains) et ancien ministre :
C’est une décision intelligente, parce que Daesh est désormais sur la défensive. Il n’est pas utile que les troupes russes se trouvent dans une situation où à terme elles pourraient être en danger. C’est une décision qui est tout à fait compréhensible et qui marque en effet le succès de la stratégie de ces derniers mois.
Alexandre Del Valle, spécialiste de la géopolitique :
«Du point de vue français, je pense que c'était assez logique et prévisible, parce que la Russie n'a pas le budget des Etats-Unis… Pour n’importe quel pays, une telle opération coûte extrêmement cher. Ensuite, une fois qu’une intervention militaire a atteint ses objectifs, il faut penser à la solution politique. Et ça aussi c'était prévu : la Russie a toujours dit qu'elle était pour une solution politique. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus d'armes russes, de bombardements ni de bases aériennes ou navales [en Syrie], ça veut dire seulement que le gros de l’effectif qui a été envoyé n'a pas vocation à rester. Et ça aussi, c'était annoncé depuis le début.
Bien évidemment, ce retrait du gros des forces russes actuellement déployées en Syrie ne concerne pas du tout les bases navales et aériennes. Elles continueront à défendre le régime et l'intégrité territoriale de la «Syrie utile» et il n'est pas question d'un retrait total. La Russie va garder une base très importante et elle va continuer à coopérer dans un certain nombre d'opérations aériennes contre l'Etat islamique, le gros d'Al-Qaïda et des autres rebelles jihadistes. Il s’agit donc d’un retrait essentiellement humain, dans la mesure où aujourd'hui, avec les pourparlers de Genève, la Russie essaye d'être le leader de ceux qui apporteront une solution politique à un conflit que la force armée, seule, ne pourra pas résoudre. Il est clair qu'aujourd'hui on ne peut obtenir aucun résultat en Irak ou en Syrie et au Moyen-Orient avec seulement des bombardements qui ne peuvent être qu'une partie de la solution. Une solution humaine, politique est également nécessaire. Elle passe par des accords entre toutes les parties, en essayant de pousser chacun à être raisonnable et à accepter de composer avec l'autre, ce qui n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui».
Florian Philippot : «Une décision intelligente»
Le vice président du Front national Florian Philippot s'est félicité de la décision russe.
Il espère qu'elle favorisera une sortie de crise : «C'est une décision intelligente. En retirant ses troupes, Vladimir Poutine montre qu'il est dans une optique de résolution de la crise syrienne. Toute initiative qui permettra de rapprocher les différents acteurs internationaux sur ce dossier est la bienvenue. La Russie montre qu'elle n'est pas le grand méchant loup qu'on nous décrit depuis des mois.»
Bruno Gollnisch : «Je suis un peu surpris»
Bruno Gollnisch, député européen Front national, s'est dit «surpris» par la décision du locataire du Kremlin.
Il s'en félicite néanmoins : «J'espère que l'objectif a été atteint même si j'en doute un peu. En tout cas, je pense que Vladimir Poutine a eu raison de ne pas laisser de manière pérenne ses troupes en Syrie. Cela prouve que c'est un dirigeant avec lequel on se doit de discuter au lieu de bêtement tenter de l'isoler comme le font certains dirigeants occidentaux.»
Roland Dumas : «La décision de Poutine va dans le bon sens»
L'ancien ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas, a salué la décision du président russe : «La décision de Poutine va dans le bon sens. Il ne pouvait raisonnablement pas laisser plus longtemps ses troupes en Syrie sans mettre en péril les relations internationales. Au vu notamment du récent accord de cessez-le-feu mis au point avec les Etats-Unis.»