La Turquie et l’Union européenne (UE) se seraient en principe accordées sur le plan proposé par Ankara d’expulser une partie des migrants de la Grèce vers la Turquie, alors qu’un nombre équivalent de réfugiés syriens devrait être accueilli dans l’UE. En retour, les pays d’Union ont promis à Ankara plus de financement mais sans accélération du processus d’adhésion à l’union.
Les dirigeants européens saluent ces négociations
L’expression «une véritable avancée» était commune à plusieurs déclarations prononcées par les représentants de l’UE, notamment celles de la chancelière allemande Angela Merkel, du président français François Hollande, du Premier ministre britannique David Cameron et du président du Conseil européen Donald Tusk après la longue réunion d’urgence de l’UE sur la crise des réfugiés qui s’est terminée aux petites heures de ce mardi 8 mars.
Donald Tusk a salué les résultats de ces négociations, prédisant que «le temps de l'immigration irrégulière en Europe est révolu» et ajoutant sur son fil twitter : «Le Premier ministre turc a confirmé qu’Ankara reprendrait les migrants irréguliers appréhendés dans les eaux turques.»
«Nous avons la base d’accord, à savoir qu'à l'avenir, tous les migrants arrivant en Grèce seront renvoyés en Turquie», a annoncé de son côté le Premier ministre britannique David Cameron, après le sommet tenu à Bruxelles.
La chancelière Merkel s’est aussi félicitée de la décision d’Ankara visant à récupérer tous les migrants illégaux traversant la Turquie vers l’Europe. Indiquant que la volonté turque d’adhérer à l’UE n’était pas au menu des négociations, elle s’est engagée à soutenir le régime de voyage sans visa qu’Ankara cherchait à obtenir au cas où le gouvernement turc se conformait à cet accord.
Le président français a confirmé que l’UE discutait de la possibilité d’allouer 3 milliards d’euros supplémentaires à la Turquie si la crise des migrants s’intensifie. «Si la question de réfugiés se poursuit et si la Turquie devrait entreprendre des efforts supplémentaires pour leur réadmission, alors c’est vrai, une nouvelle subvention pourrait être prévue pour la fin de 2018.»
François Hollande a aussi souligné que l’accord pourrait sauver le système Schengen de frontières ouvertes, système mis à mal par la crise migratoire dans certains des pays européens les plus touchés.
Cependant, alors qu’il commentait la requête d’Ankara sur le déplacement sans visa pour les citoyens turcs, le chef de l’Etat français a noté que le premier pas serait pour la Turquie de remplir tous les critères nécessaires à l’introduction d’un tel régime.
«Ce qui a été convenu, c'est que le principe de libéralisation des visas pourrait intervenir [...] au mois de juin si les critères sont respectés et il y a 72 critères à respecter», parmi lesquels la gestion des migrations ou la mise en place de cartes d'identité biométriques, a-t-il prévenu.
Exigences turques
En parallèle, des rapports assurent que la Turquie avait initialement demandé plus de 3 milliards d’euros. Selon Reuters, le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a réclamé dimanche environ 20 milliards d’euros lors de sa réunion préliminaire avec Angela Merkel et son homologue néerlandais Mark Rutte.
Le Premier ministre turc Ahmet Davutolgu est venu expliquer aux journalistes les propositions «audacieuses» qu'il avait présentées aux 28 pour limiter l'afflux de migrants vers les côtes grecques, incluant notamment l’idée de reprendre tous les migrants "économiques" ainsi que des réfugiés syriens.
Ahmet Davutolgu a aussi promis que le régime sans visa entre l’UE et la Turquie pourrait être établi bientôt. «Vers la fin du mois de juin, vers la fin de la présidence des Pays-Bas, nous compléterons la procédure de libéralisation des visas», a-t-il fait savoir, cité pat TASS.
En confirmant que ce processus pourrait être accéléré, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a souligné qu’«il ne devait aucunement compromettre les principes fondamentaux de l’UE.» La finalisation de l’accord sur la crise migratoire est prévue pour le 17 et 18 mars à Bruxelles.
«Nous souhaitons empêcher les vagues de réfugiés les et événements tragiques en mer Egée», a annoncé le représentant turc Davutoglu après la rencontre avec les 28 chefs de l’UE. Quelques heures plus tôt, 25 migrants s’étaient noyés au large de la Turquie lors d’une traversée vers la Grèce. «Avec ces nouvelles propositions, nous visons à sauver les réfugiés, décourager ceux qui tentent d’utiliser et d’exploiter leur situation et arriver à une nouvelle ère dans les relations entre la Turquie et l’UE.»
Lundi matin, le politicien turc avait annoncé des propositions pour changer la donne alors qu'il se rendait à la réunion avec les leaders européens qui souhaitaient fermer la route des Balkans, utilisée par plus de 800 000 migrants pour entrer sur le vieux continent l’année dernière.
Le projet commun imaginé en fin de session semblait tenir sa promesse. Selon le document, publié par Reuters «pour chaque Syrien réadmis par la Turquie depuis les îles grecques, un autre sera réinstallé depuis la Turquie dans un pays membre de l’UE».
La semaine dernière, Ankara a promis de reprendre les demandeurs d’asile depuis l’Europe s’ils étaient passés via le territoire turc. Mais la nouvelle initiative présente un défi logistique considérable. Les autorités de l’UE devront parcourir les îles grecques et déporter les réfugiés malgré les objections des organisations de droits de l’homme alors que celles de Turquie devront examiner chaque revendication avant de les envoyer en Europe.
L’OTAN et l’UE s’engagent à aider la Turquie
«L’OTAN commence ses activité dans les eaux territoriales [de la Grèce et de la Turquie] à partir d’aujourd’hui. Nous élargissons notre coopération avec l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex et nous élargissons le nombre de navires dans notre déploiement», a annoncé le secrétaire général de l’organisation Jens Stoltenberg alors qu’il se tenait près du Premier ministre turc à la conférence de presse finale. La France et le Royaume-Uni ont promis de nouveaux navires pour cette flotte.
L’UE a indiqué qu’elle offrirait à la Turquie 3 milliards d’euros d’ici à 2018, en plus des 3 milliards d’euros déjà promis l’année dernière. L’accord offrirait aussi aux citoyens turcs la possibilité de voyager sans visa à travers la zone Schengen à partir du juin, alors que cette éventualité devait être reconsidérée en octobre.
«La Turquie offre plus et demande plus», a indiqué un haut diplomate à Reuters tandis que les responsables européens ont insisté publiquement sur le fait que les problèmatiques migratoires et d’intégration de la Turquie dans l’UE devaient rester distinctes.
Après avoir présenté ces propositions – qui seront le sujet d’âpres défis politiques et juridiques – les politiciens sont retournés à la table de négociations pour un nouveau round.
Critique de la liberté de presse
Les politiciens européens ont trouvé le temps, lundi, pour critiquer le renforcement de la censure en Turquie, à la suite d'un placement sous tutelle judicaire par un tribunal d’Istanbul du plus important journal d'opposition turc, Zaman.
Le journal est officiellement accusé par l'Etat de liens présumés avec le religieux musulman Fethullah Gülen, qui vit aux Etats-Unis, et que le gouvernement accuse d'avoir tenté de renverser le régime. Pour les responsables turcs, cette affaire «n’est pas politique».
La liberté de presse est «un élément de notre identité européenne non négociable», a signalé le président du Parlement européen Martin Schulz, faisant référence à l’ambition turque d’accéder à une intégration plus étroite avec l’UE. La France et l’Allemagne ont aussi exprimé leurs préoccupations à cet égard.
Le gouvernement turc est principalement intéressé par les négociations d’adhésion à l’UE
Malgré les déclarations d’Angela Merkel indiquant que la question de l’adhésion turque n’avait même pas été au menu de la rencontre, certains voient dans les aspirations d’Ankara à devenir une énième partie du bloc le moteur le plus important des négociations.
Des documents divulgués en novembre indiquaient que les responsables turcs avaient bien l’intention de jouer sur la crise des réfugiés dans ses négociations d’adhésion, a fait savoir à RT le journaliste grec Angelica Papamiltiadou. «Que la Turquie souhaite pousser son adhésion en parallèle des concessions qu’elle ferait pour les réfugiés est une théorie assez évidente», a-t-elle expliqué.
Elle a souligné que le Premier ministre grec Tsipras a menacé d’un veto cette adhésion, estimant que «la Turquie devait d’abord mettre un terme à ses exigences guerrières.» Athènes qualifie les revendications d’Ankara en mer Egée et ainsi que ses actions militaires d’«hostiles. »