Dans un entretien accordé au Point le 22 septembre, Enrico Letta est revenu sur le rapport qu’il a rédigé pour le Conseil européen sur l’avenir du marché unique. L’ancien président du Conseil italien, aujourd’hui directeur de l’Institut Jacques Delors, y dénonce la dépendance croissante de l’Europe à la finance américaine. Selon lui, le continent devient « un peu plus, chaque jour, une colonie de Wall Street ».
Il attribue cette « colonisation » du marché financier par les États-Unis à « la fragmentation et au manque de masse critique européenne » et recommande de fixer une échéance claire : construire un marché unique étendu à plusieurs secteurs d’ici 2028. Ursula von der Leyen a déjà souscrit à cette idée.
Pour Letta, le nationalisme de chaque service financier (banque française, assureur allemand, etc.) empêche les acteurs européens de devenir plus grands et d’acquérir une masse critique. En guise de solution, il a appelé à « passer de la logique de défense des champions nationaux à la construction rapide de champions européens. Nous avons besoin d'un Airbus des banques, d'un Airbus des assureurs, d'un Airbus de l'énergie. Sans cela, nous ne serons pas compétitifs ».
« Ni Trump ni l'Europe ne gagneront dans une guerre des tarifs douaniers »
Il propose aussi d’inclure « l'intangible » en tant que nouvelle liberté en Europe. Par cela, il entend dépasser le modèle économique datant des années 1900, en ajoutant l’innovation et la connaissance en tant que « cinquième liberté », afin de dépasser les blocages persistants sur la reconnaissance des diplômes et d’adapter l’économie européenne au XXIᵉ siècle.
S’il souscrit aux arguments de la Commission européenne concernant l’accord négocié avec les États-Unis sur les tarifs douaniers, établissant des droits de douane à 15 %, Enrico Letta s’est dit préoccupé par le « jeu de politique domestique de Donald Trump » qui pourrait probablement revenir sur l’accord actuel « quand il en aura besoin ». « Le problème européen est toujours le même : nous avons du mal à nous concentrer sur plusieurs sujets à la fois. On risque alors de dilapider toute l'énergie européenne sur les droits de douane, alors que c'est du perdant-perdant. On ne peut que perdre. Ni Trump ni l'Europe ne gagneront dans une guerre des tarifs douaniers », a-t-il expliqué.
Face à l’urgence de la situation européenne, les recommandations du rapport Enrico Letta devraient se heurter à des facteurs tels que la volonté politique ou encore la lenteur des institutions européennes à assimiler les préconisations.