Depuis octobre 2023, Israël a déclenché 52 enquêtes internes après des accusations de crimes de guerre ou d’abus commis par ses soldats à Gaza et en Cisjordanie, selon le groupe britannique Action on Armed Violence (AOAV). Sur ces 52 affaires recensées par les médias anglophones, seules six ont abouti à la reconnaissance d'une faute, et une seule à une condamnation pénale. Le reste – soit 88 % – est resté sans issue ou a été classé sans suite.
Parmi les cas restés sans réponse figure la tuerie de 112 Palestiniens en février 2024 à Gaza, abattus alors qu’ils attendaient de la farine. Autre exemple : 45 personnes mortes brûlées dans un camp de tentes à Rafah en mai 2024, à la suite d’un bombardement israélien. Le 1er juin 2024, 31 Palestiniens ont encore été tués à proximité d’un centre de distribution alimentaire. Ces événements font partie des nombreux dossiers toujours officiellement « à l’étude », sans qu’aucune responsabilité n’ait été reconnue.
AOAV dénonce une volonté délibérée d’Israël de créer une « culture de l’impunité ». Ses chercheurs, Iain Overton et Lucas Tsantzouris, affirment que l’armée israélienne utilise ses mécanismes internes comme « outil politique » pour éviter toute pression extérieure, notamment de la Cour pénale internationale.
Une justice militaire sans justice
L’armée israélienne (Tsahal) affirme qu’elle agit « en conformité avec le droit israélien et international ». Elle mentionne l’existence d’une cellule d’enquêtes (FFA), indépendante en théorie, ainsi que des investigations menées par la police militaire. Mais dans les faits, comme l’a révélé AOAV, très peu de dossiers aboutissent.
À titre d’exemple, un seul soldat a été condamné à sept mois de prison en février dernier pour avoir torturé des prisonniers palestiniens à Sde Teiman. Dans une autre affaire, sept humanitaires de World Central Kitchen ont été tués par erreur lors d’un bombardement en avril 2024 : un colonel et un major ont été démis de leurs fonctions, trois autres officiers ont été réprimandés, mais aucune poursuite judiciaire n’a suivi.
AOAV souligne aussi l’inefficacité chronique du mécanisme FFA, déjà connu pour son opacité. Selon les données de l’ONG israélienne Yesh Din, 664 plaintes avaient été entre 2014 à 2021. Résultat : une seule inculpation. Le taux de poursuites est donc de seulement 0,17 %, un chiffre qui démontre l’échec structurel du système.
L’image d’un État au-dessus des lois
Pour AOAV, il ne s’agit pas de quelques fautes isolées, mais d’un « système de non-responsabilité conçu pour protéger les institutions ». Comme l’a résumé Shawan Jabarin, directeur de l’ONG Al-Haq : « L’impunité n’est pas une anomalie du système israélien. Elle en est le fondement. »
Malgré les critiques croissantes, y compris les mandats d’arrêt lancés par la Cour pénale internationale contre le Premier ministre israélien et son ancien ministre de la Défense, Israël continue d’affirmer que sa justice militaire fonctionne de manière autonome et efficace. Pourtant, les faits compilés par AOAV montrent un tout autre visage : une justice militaire bloquée, lente, opaque, et peu soucieuse de rendre des comptes.
Selon les conclusions du rapport, les enquêtes israéliennes ne sont pas conçues pour traduire les coupables en justice, mais pour gagner du temps et faire écran à la pression internationale. En attendant, des dizaines de milliers de civils palestiniens sont morts dans des attaques sans qu’aucun responsable ne soit jugé.