Israël a reconnu avoir armé des factions palestiniennes à Gaza pour lutter contre le Hamas, à commencer par un groupe dirigé par Yasser Abou Shabab, actif dans la zone de Rafah. Cette révélation, d’abord dénoncée le 5 juin par Avigdor Liberman, ancien ministre israélien de la Défense, a été confirmée par le Premier ministre Benjamin Netanyahou dans une vidéo diffusée sur son compte X: « Nous avons dirigé des clans à Gaza qui s’opposent au Hamas. Qu’est-ce qui ne va pas ? C’est bien, cela sauve la vie des soldats de Tsahal », a-t-il affirmé.
Les autorités israéliennes auraient livré des fusils d’assaut, principalement des Kalachnikovs, au groupe d’Abou Shabab sans consulter le cabinet de sécurité, une procédure pourtant habituelle. L’objectif serait d’utiliser ces milices comme levier contre le pouvoir du Hamas dans des zones que l’armée israélienne cherche à « nettoyer », notamment à Rafah et Khan Younès.
Une milice contestée, entre crime organisé et propagande
Le groupe d’Abou Shabab, parfois qualifié de gang criminel, s’est fait connaître pour des détournements de convois humanitaires, notamment sous protection israélienne, selon plusieurs témoignages. Bien que le chef de la milice affirme ne recevoir aucun soutien militaire étranger, plusieurs sources palestiniennes et humanitaires assurent l’avoir vu opérer armé et en uniforme dans des zones sous contrôle direct de l’armée israélienne.
Un chauffeur gazaoui a rapporté au Financial Times: « Il n’y a aucune chance qu’une milice armée puisse circuler librement à Rafah sans l’accord d’Israël ».
L’historien Jean-Pierre Filiu, cité par La Croix, estime qu’il s’agit pour Israël de « miser ouvertement sur le crime organisé » faute de pouvoir instaurer une alternative crédible au Hamas. Il décrit Abou Shabab comme un repris de justice, ancien détenu pour trafic de drogues, aujourd’hui à la tête d’une centaine d’hommes armés, dont certains sont des anciens prisonniers ou des marginaux rejetés par leurs clans.
Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des membres du groupe vêtus d’uniformes frappés de l’inscription « Unité de lutte contre le terrorisme ». Selon plusieurs observateurs, ces miliciens, parfois assimilés à des factions salafistes extrémistes, auraient également collaboré avec les services israéliens pour établir un contrôle sur certaines zones dites « purifiées du Hamas ».
Vives critiques et accusations de chaos orchestré
Du côté israélien, la polémique enfle. L’opposition accuse Netanyahou de « créer une bombe à retardement », selon les mots de Yaïr Golan, ancien chef d’état-major adjoint. Ce dernier dénonce « une milice liée à l’État islamique », soutenue sans préparation stratégique. Même son de cloche pour Yaïr Lapid, chef de l’opposition, qui rappelle qu’après avoir financé le Hamas avec l’accord de Netanyahou, « Israël arme désormais des gangs criminels à Gaza ».
Pour le Hamas, cette opération prouve qu’Israël cherche à « créer le chaos social et sécuritaire » à Gaza. Dans un communiqué, le mouvement affirme que ces milices « seront poursuivies par les forces de notre peuple ».
Le groupe d’Abou Shabab, aujourd’hui repositionné comme une force soi-disant « humanitaire », se revendique d’une mission de protection des convois de l’aide. Pourtant, plusieurs ONG affirment qu’il continue de détourner les cargaisons et d’imposer des taxes illégales aux chauffeurs. Jonathan Whittall, responsable de l’OCHA pour les territoires palestiniens, a qualifié ces milices de « plus grande cause de perte des aides à Gaza », dans ses propos rapportés par The Washington Post.
Au cœur d’une guerre qui a déjà coûté la vie à plus de 54 000 Palestiniens selon le ministère de la Santé de Gaza, l’initiative israélienne d’armer des factions locales jette une lumière crue sur une politique de plus en plus risquée, aux conséquences imprévisibles sur le terrain.