International

A l’heure du conclave, la voix de François résonne une dernière fois

Un entretien inédit du défunt pape François, datant de 2023, est publié le jour de l’ouverture du conclave chargé d’élire son successeur. Il y exprime sa vision de la paix en Ukraine, condamne l’escalade militaire mondiale et appelle au dialogue entre Églises.

Alors que s'ouvre aujourd'hui le conclave qui doit désigner le nouveau chef de l’Église catholique, l’agence de presse russe RIA Novosti a publié un entretien exclusif avec le pape François, resté confidentiel depuis l’été 2023. Dans ce témoignage inédit, le souverain pontife partage sa vision de la réconciliation en Ukraine, met en garde contre la militarisation croissante du monde, exprime son espoir d’un renouveau du dialogue avec l’Église orthodoxe russe et évoque les persécutions subies par les chrétiens ukrainiens. Publié après sa mort, ce texte résonne comme un testament spirituel d’une grande portée.

Initialement, sa publication avait été différée à la demande du Vatican : le pape jugeait alors que «le moment n’était pas encore venu». Aujourd’hui, l’agence a choisi de rendre ce document public, estimant que les paroles du pontife conservent toute leur pertinence et leur valeur morale.

Cet échange exceptionnel a pu avoir lieu grâce à l’initiative de l’Union mondiale des vieux-croyants, dont le président, Léonid Sevastianov, avait personnellement remis les questions au pape François par le biais de son secrétaire, Fabio Salerno. Le pape avait alors répondu par une lettre manuscrite, confirmant avoir bien reçu les questions et remerciant chaleureusement l’auteur, tout en demandant de différer la publication :

« Cher frère,

Merci beaucoup de votre lettre.

Merci de tout ce que vous faites pour la paix. Un grand merci !

Je vous remercie aussi pour l’ébauche de l’interview. Pour l’heure, je pense qu’il vaut mieux ne pas donner d’interview. Peut-être cela sera-t-il possible plus tard ».

Le dialogue comme fondement de la paix

Dans son message, François insistait sur l’importance essentielle du dialogue dans la résolution des conflits. Selon lui, les processus de paix devraient commencer par une communication sincère, même imparfaite. Les négociations ne doivent pas être perçues comme un aboutissement, mais comme un point de départ indispensable. C’est en abordant les aspects humanitaires, même au milieu d’un conflit actif, que les esprits peuvent évoluer vers une solution politique, estimait-il. « Les négociations de paix sont avant tout un échange lors duquel mûrissent des idées. Les négociations sont destinées à alléger les souffrances de la population dans la zone du conflit ainsi que celles des peuples indirectement affectés. En discutant de problèmes humanitaires, nous en arriverons tôt ou tard à comprendre la nécessité de mettre un terme à la confrontation militaire et de passer au règlement diplomatique », indiquait-il.

Le pape estimait également qu’un espace de discussion, même symbolique ou virtuel, devait toujours exister, quelle que soit la situation militaire sur le terrain. Il jugeait essentiel que les parties impliquées, directes ou indirectes, gardent la possibilité de se parler. Pour lui, chaque occasion de dialogue représente une chance de rapprocher les positions et d’ouvrir une brèche vers la paix. Il insistait aussi sur le caractère mutuel de toute résolution pacifique : selon lui, la paix ne pouvait être imposée, mais devait être désirée activement par toutes les parties.

Une condamnation de la logique d’armement

Le pape François dénonçait aussi fermement la prolifération des armes offensives, qu’il considérait comme moralement inacceptables. Il a appelé à leur interdiction généralisée à l’échelle mondiale. Pour lui, la fabrication et l’usage d’armes de destruction massive représentaient une transgression grave des valeurs humaines, dans la mesure où ce sont avant tout les civils qui en subissent les conséquences. « À mon avis, les armes offensives devraient être interdites partout. Les types d’armes offensives sont immoraux. En tout cas, produire et utiliser des armes de destruction massive, porteuses de mort et de souffrance principalement pour la population civile, est inacceptable », remarquait-il.

L’Ukraine et la Russie, un lien indissociable

S'agissant du conflit en Ukraine, le pape exprimait une vision ancrée dans la géographie et l’histoire. Les peuples ukrainien et russe sont, écrivait-il, appelés à vivre côte à côte, indépendamment des divisions politiques : « L’Ukraine et la Russie sont des peuples frères et voisins. Elles seront toujours voisines en raison de la géographie, quelles que soient les circonstances ». Cette conviction avait motivé un acte symbolique fort : la consécration des deux pays à la Vierge Marie, qu’il avait accomplie solennellement en mars 2022. Ce geste représentait, dans sa pensée, un appel à la réconciliation spirituelle au-delà des frontières humaines.

Un appel au rapprochement entre les Églises

François gardait l’espoir d'une poursuite des relations entre le Vatican et l’Église orthodoxe russe, malgré les tensions. Il voyait dans le dialogue interconfessionnel une source de paix durable et de compréhension mutuelle. Ce rapprochement, selon lui, dépassait les enjeux politiques pour répondre à une exigence de fraternité chrétienne.

Le pape exprimait aussi son inquiétude au sujet des discriminations religieuses, notamment celles subies par les chrétiens en Ukraine. Il dénonçait toute forme d’oppression spirituelle exercée dans un contexte de guerre, y voyant une double violence : celle des armes et celle des atteintes à la liberté de conscience.