Après plus de 26 mois de vacance du pouvoir, les 120 députés libanais ont enfin réussi à se mettre d'accord le 9 janvier sur un nom, celui de Joseph Khalil Aoun, général des armées. Une élection qui a été saluée à l'international, de Riyad à Washington en passant par Téhéran et Ankara.
Ce militaire de 60 ans a fait une longue carrière dans l'armée libanaise, jusqu'à en devenir le chef en 2017. Il reste l’une des personnalités chrétiennes les plus appréciées, non seulement dans les milieux militaires mais aussi dans les cercles diplomatiques. L'armée représente au Liban la dernière institution populaire appréciée de la majorité de la société civile, notamment pour sa dimension aconfessionnelle.
Joseph Aoun est d'ailleurs le cinquième chef de l’État à avoir occupé le poste de commandant en chef de l’armée libanaise, après les mandats de Fouad Chehab (1958-1964), Émile Lahoud (1998-2007), Michel Sleiman (2008-2014) et Michel Aoun (2016-2022). Il peut notamment se targuer d'avoir réussi à préserver l’unité et la cohésion de l’institution militaire contre vents et marées, notamment face aux incursions djihadistes en 2017, à la crise politico-sociale de 2019 et aux ravages de la guerre contre l'armée israélienne depuis octobre 2018, qui s'est intensifiée à partir de septembre 2024.
Un candidat soutenu par Riyad, Paris et Washington
Dès 2019, le militaire a multiplié les déplacements dans le Golfe et en Occident pour maintenir à flot l'institution et payer le salaire des 80 000 soldats. Un certain nombre avaient déserté faute de moyens. Ces nombreux allers-retours à l'étranger ont été mal perçus par certains partis notamment le tandem chiite Amal et Hezbollah. Pourtant, Joseph Aoun a réussi à entretenir un équilibre entre ses bonnes relations avec Washington et ses rapports cordiaux avec le puissant parti pro-iranien.
Outre l’allié américain, l’institution a reçu des aides du Qatar ou de la France. Une conférence internationale organisée à Paris en octobre 2024 a permis de lever 200 millions de dollars pour l’armée. Joseph Aoun a été soutenu par le Quintette, regroupant les États-Unis, le Qatar, l'Egypte, la France et l'Arabie saoudite.
Quelques jours avant le scrutin au Parlement, dans la matinée du 8 janvier, l’envoyé saoudien, Yazid ben Farhane, s'est rendu à Beyrouth, après un précédent déplacement la semaine dernière. De son côté, l’envoyé français, Jean-Yves Le Drian, a rencontré les différentes forces politiques pour les convaincre de soutenir Joseph Aoun. Le 6 janvier, c'était au tour de l'émissaire américain, Amos Hochstein, de faire le déplacement. Les messages transmis conjointement par les Américains, les Français et les Saoudiens contenaient des pressions ainsi que des incitations à parvenir à un consensus autour du commandant de l’armée.
Une élection sur les ruines du Hezbollah
Les puissances régionales et internationales ont misé sur lui pour la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu. Ce dernier prévoit notamment le déploiement de l'armée libanaise dans le sud du pays et le retrait des forces du Hezbollah au nord du fleuve Litani. Les combattants de la milice chiite devront de surcroît abandonner leurs armes lourdes. Intervenant dans le fief du Hezbollah, qui a promis une «coopération totale», le chef de l’armée devra veiller à préserver le précaire équilibre social et confessionnel du jeu politique libanais.
Son élection n'aurait d'ailleurs pas été possible sans le chamboulement géopolitique à l'échelle régionale. La défaite militaire du Hezbollah face à Israël et la chute de Bachar el-Assad ont porté un lourd coup politique à l'alliance du tandem chiite au pays du Cèdre. Les partis misaient initialement sur l'homme de Zghorta Sleiman Frangié, allié historique de Damas. Les mouvements chiites ont fini par jeter leur dévolu sur Joseph Khalil Aoun, tout en martelant qu'ils s'opposeraient uniquement à la candidature de Samir Geagea, leader des Forces libanaises. Ce retournement de situation laisse à penser qu'il y aurait eu également une sorte de troc entre le Hezbollah et Amal et le nouveau chef d'État libanais afin d'obtenir des garanties sur la reconstruction du sud du Liban, la nomination d'un chiite à la tête des armées (poste qui était traditionnellement réservé à un maronite), voire du maintien de certaines armes.
Du pain sur la planche
Toujours est-il que lors de son serment le nouveau chef d'Etat n'a pas fait mention du mot «résistance», ni même du fameux triptyque «armée-peuple-résistance». Devant les 99 députés qui l’ont élu mais aussi les 29 qui se sont abstenus, le chef de l'armée a promis que l’État libanais aurait, sous son mandat, le monopole des armes. Une posture qui rompt avec la politique de ses prédécesseurs depuis l'accord de Doha qui avait statué sur l'arsenal du Hezbollah.
Il a promis d’investir dans l’armée légitime pour «contrôler les frontières, au sud tout comme à l’est et au nord, combattre le terrorisme, mettre en œuvre les résolutions onusiennes et faire face aux agressions israéliennes». «Je m’engage à appeler à un dialogue sur une stratégie de défense nationale permettant à l’État libanais – je répète, l’État libanais – de mettre fin à l’occupation israélienne et de repousser son agression sur l’ensemble des territoires libanais», a-t-il de surcroît déclaré.
«Il est temps d’arrêter de parier sur l’extérieur pour imposer sa force sur les autres», a-t-il lancé en référence à l'influence iranienne au pays du Cèdre. «Je m’engage à reconstruire, en toute transparence, ce que l’agression israélienne a détruit au Liban-Sud, dans la Békaa et la banlieue de Beyrouth», a promis le général Aoun. Suite à son élection, certains parlent même de «troisième indépendance» au Liban, après celle de 1943 et celle de la tutelle syrienne en 2005. L'élection du 9 janvier 2025 marquerait-elle la fin de l'influence omnipotente de Téhéran dans les affaires internes libanaises ?
Quoiqu'il en soit, l'élection d'un président au pays du Cèdre n'est que la première étape vers une sortie de crise. Le chef d'État libanais a la lourde tâche de nommer un Premier ministre après des consultations parlementaires pour que ce dernier puisse choisir son gouvernement.