«Nous avons besoin que l’Ukraine nous dise exactement ce qu’elle veut que nous fassions avec les citoyens ukrainiens dans l’UE.» La situation des réfugiés ukrainiens au sein du bloc européen était au menu d’un échange entre Radoslaw Sikorski et Lexus et Vovan diffusé ce 12 septembre.
Dernière victime en date des deux humoristes russes, connus pour piéger les personnalités politiques de haut rang, le chef de la diplomatie polonaise est largement revenu sur le soutien apporté à Kiev par Varsovie, pensant alors s’adresser à l’ex-président ukrainien Petro Porochenko. «Nous nous occupons de ceux qui enfreignent la loi en Pologne. Nous les renvoyons», a déclaré Radoslaw Sikorski, assurant que son pays était «prêt à aider en encourageant» les Ukrainiens sur son sol «à défendre leur patrie».
Le ministre polonais a toutefois estimé qu’une «décision paneuropéenne» devait être prise sur le sujet. «Nous ne voulons pas que les citoyens ukrainiens commencent à se déplacer dans l’UE, à la recherche du meilleur deal», a déclaré le ministre polonais. «Par exemple, il y a eu une idée selon laquelle ceux qui évitent le service militaire ne devraient pas recevoir de prestations de sécurité sociale», a-t-il poursuivi, estimant «correcte» cette idée. «Les gens ne devraient pas être payés pour esquiver la conscription», a-t-il enchéri.
Énergie : 70% des capacités de production ukrainienne d'électricité détruites
Radoslaw Sikorski a souligné auprès de son interlocuteur que les autorités ukrainiennes devaient «mettre en place une sorte de procédure accélérée pour émettre des mandats d’arrêt», soulignant que ces sésames seraient nécessaires afin de passer à la vitesse supérieure en matière de renvoi d’Ukrainiens vers leur pays.
Début juillet, Volodymyr Zelensky et le Premier ministre polonais Donald Tusk ont signé un traité de sécurité bilatéral dans lequel Varsovie assure qu’elle «encouragera» les Ukrainiens à retourner dans leur pays d’origine «pour servir dans les forces armées […] et dans d’autres forces de sécurité et de défense».
Sur la situation globale de l’Ukraine, la «principale menace» aux yeux du ministre polonais est pour l’heure l’approvisionnement énergétique. En effet, une pénurie dans le pays pourrait provoquer une nouvelle vague d’immigration. «On m'a dit, de votre côté, que 70% de la capacité de production d'électricité a maintenant été détruite», a-t-il ainsi déclaré.
Les États-Unis «ne peuvent vous vendre à la sauvette», assure Sikorski
D’éventuelles négociations de paix ont également été abordées. Selon le ministre polonais, l’Ukraine n’aurait pas dû entrer dans le format Normandie et aurait dû se contenter de l’accord de Genève qui incluait la Russie, les États-Unis et l’Union européenne. Radoslaw Sikorski met notamment en garde Kiev contre l’erreur qui consiste, selon lui, à vouloir embarquer le plus de pays possible afin de faire pression sur la Russie.
«Je ne pense pas que Poutine soit réceptif à la pression morale», a-t-il averti, ajoutant que les demandes ukrainiennes «pourraient être diluées et gérées par d’autres pays». «Quels intérêts l’Afrique du Sud, l’Inde ou le Brésil ont-ils dans les frontières de l’Ukraine ?», a-t-il enchéri.
Selon le ministre polonais, Kiev peut compter sur le soutien de Washington. Car, même si leurs intérêts «ne sont pas identiques» à ceux de l’Ukraine, «ils savent que leur crédibilité est en jeu». «Ni cette administration ni la suivante ne peuvent vous vendre à la sauvette», a-t-il insisté, au risque de ternir leur image auprès de tous leurs alliés.
«Nous ne savons pas vraiment ce que Trump va faire, mais ce qu’ils nous disent, c’est que Trump menacerait Poutine d’une escalade afin d’obtenir un meilleur accord», a confié le diplomate polonais, assurant avoir échangé avec des proches de Donald Trump. Début septembre, l’ancien président américain avait déclaré «avoir un plan précis» pour mettre un terme au conflit entre l’Ukraine et la Russie s’il revenait à la Maison Blanche.
Escalade avec la Russie ? Pas d’intervention en Ukraine, ni de missiles nucléaires en Pologne
L’attentat de septembre 2022 contre les gazoducs Nord stream a également été abordé. Mi-août, le parquet polonais avait confirmé avoir reçu un mandat d’arrêt émis par l’Allemagne visant un Ukrainien. Ce dernier, selon des médias allemands, malgré le mandat d’arrêt européen émis contre lui, n’a pas été inquiété par les autorités polonaises qui l’ont laissé franchir la frontière vers l’Ukraine début juillet. Un raté qui, selon le parquet polonais, s’expliquerait par le fait que Berlin n'aurait pas inscrit le suspect dans le registre des personnes recherchées.
«Nous savons maintenant que les Américains en avaient connaissance à l’avance et n’ont pas arrêté l’opération», a confié Radoslaw Sikorski sur cette attaque qui a détruit ces gazoducs reliant la Russie à l’Allemagne auxquels s’opposaient farouchement les autorités américaines et polonaises.
Quant au front, une chose est sûre pour le ministre polonais : les forces ukrainiennes ne doivent pas perdre la ville portuaire d’Odessa. «Mon Premier ministre sera très réticent à le faire», a-t-il confié, alors interrogé sur une éventuelle intervention de Varsovie en Ukraine si Français et Britanniques venaient à envoyer des troupes.
«Nous discutons actuellement de la possibilité d’abattre des missiles de croisière russes au-dessus de votre espace aérien, depuis notre espace aérien, sans rentrer sur votre territoire, même cela à ce stade est très controversé», a alors souligné le ministre polonais. «Il n’y a pas d’accord pour cela, car cela reviendrait à entrer en guerre», a-t-il encore précisé. «Si le front commençait à s’effondrer, les choses pourraient changer, mais pour le moment, il n’y a aucune volonté de le faire», a-t-il toutefois ajouté.
Même tonalité concernant le déploiement d’armes nucléaires américaines en Pologne, évoquée depuis plusieurs mois par le président polonais Andrzej Duda, dans le cadre du parapluie de l’OTAN. Un débat que n’estime «pas très utile» Radoslaw Sikorski, soulignant par ailleurs que stratégiquement, le stationnement de telles armes en Allemagne ou en Pologne ne changerait pas grand-chose.
«Nous avons dit au président d’arrêter d’en parler», a-t-il insisté, un brin agacé, rappelant que ces armes n'étaient qu’«entreposées» sur le sol des pays qui l’acceptaient mais que leur emploi était réservé aux Américains. «C’est comme être un facteur qui a un chèque d’un million de dollars et qui se sent important, comme si ce million de dollars était le sien, mais ce n’est pas le sien !», a imagé le ministre polonais.
L’OTAN «hypocrite» et l’UE redessinée par l’entrée de l’Ukraine
Toujours sur l’OTAN, à laquelle espère adhérer Kiev, Radoslaw Sikorski – lui-même considéré comme l’un des artisans de l’adhésion de son pays au bloc militaire piloté par Washington – a estimé que l’attitude adoptée par l’Alliance vis-à-vis de l’Ukraine était «quelque peu hypocrite». «Ce que dit l’OTAN, c’est que vous pouvez devenir membre de l’OTAN une fois que vous avez gagné la guerre et que vous n’en avez plus besoin», a-t-il résumé.
«Vous savez aussi bien que moi qu’il n’existe aucune volonté de guerre avec la Russie en Europe occidentale. C’est une ligne rouge absolue», a-t-il insisté.
Le ministre polonais s’est en revanche montré plus confiant quant à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE. Une adhésion qui prendra toutefois du temps, «une décennie ou plus» prévient-il, mettant en avant un processus «par étapes». Il donne toutefois plusieurs conseils à son interlocuteur, le mettant en garde sur le chapitre appelé a être le «plus difficile à négocier» lors des négociations d’adhésion : l’agriculture.
«Votre agriculture est trop bonne, elle est trop compétitive», souligne-t-il, évoquant la taille des exploitations en Ukraine en comparaison au reste de l'Europe ainsi que la qualité exceptionnelle du sol. «Votre adhésion obligerait une révision complète de la politique agricole commune [la PAC], ce qui constitue un problème politique vraiment difficile au sein de l'UE et des États membres».
Le ministre polonais a également souligné l’impact qu’aurait, en termes de «pouvoir», l’intégration d’un pays tel que l’Ukraine. «Vous êtes un très grand pays, donc l'équilibre des pouvoirs au sein de l'UE serait modifié par votre adhésion», a-t-il précisé. Avant de conclure : «L’Ukraine et la Pologne auraient ensemble plus de voix au Conseil et plus de députés au Parlement que l’Allemagne.»