«Cette fuite a constitué une victoire de propagande pour le Kremlin, a suscité un tollé en Allemagne et pourrait mettre à rude épreuve les relations avec les alliés allemands de l’OTAN», s'inquiète le Wall Street Journal (WSJ) le 2 mars, 24 heures après la révélation par la rédactrice en chef de RT Margarita Simonian d’une discussion de 38 minutes à laquelle participait le général Ingo Gerhartz, chef de la Luftwaffe, et trois autres officiers supérieurs allemands. Dans cet échange datant du 19 février, les commandants allemands évoquaient la livraison de missiles Taurus à l’Ukraine et le ciblage du pont de Crimée avec ces armes.
Décrivant les réactions à ces révélations dans la sphère politico-médiatique allemande, le WSJ estime que cette fuite rend la livraison des missiles réclamés par Kiev depuis des mois encore moins probable.
La chargée de Défense du parti libéral allemand FDP, membre de la coalition gouvernementale, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, accuse Moscou d'avoir voulu «intimider» Olaf Scholz pour qu'il ne revienne pas sur son refus de livraison des Taurus, a-t-elle déclaré au groupe de presse Funke.
L'Allemagne atterrée par l'amateurisme du haut commandement allemand
De toute évidence, le contenu s’avère extrêmement embarrassant pour Berlin. Les confirmations officielles se sont multipliées le 2 mars. Le chancelier Olaf Scholz a admis qu'il s'agissait d'une «affaire très grave» et promis une enquête «très approfondie», tandis que le ministère allemand de la Défense indiquait : «Selon notre évaluation, une conversation au sein de la division de l'armée de l'air a été interceptée.»
De hauts responsables allemands cités par le WSJ ont aussi confirmé l’authenticité de l’enregistrement, précisant que la réunion avait eu lieu sur la plateforme non cryptée WebEx Microsoft. Une information aussi dévoilée par le Spiegel. En Allemagne, les réactions atterrées face à l’amateurisme sécuritaire du haut commandement se sont multipliées, la chaîne de télévision publique ARD qualifiant de «catastrophe» les services secrets allemands.
Les Allemands révèlent des secrets franco-britanniques
L'option de frappes avec 10 à 20 missiles contre le pont de Crimée, une cible qui obsède Kiev, n'est pas le seul élément embarrassant pour Berlin dans la discussion dévoilée. Les participants évoquent de surcroît des détails sur les livraisons et l'emploi de missiles de longue portée Scalp fournis depuis l'an dernier par la France et la Grande-Bretagne à l'Ukraine.
Cette partie de l'écoute est l'une des plus gênantes pour Berlin car elle dévoile des secrets de pays alliés. D’autant plus qu’Olaf Scholz a déjà récemment suscité l'irritation en Grande-Bretagne pour avoir affirmé que les Britanniques et les Français aidaient les soldats ukrainiens pour le maniement des missiles Scalp et la définition des cibles.
Olaf Scholz, le 26 février, avant la révélation de Margarita Simonian, avait ainsi justifié le refus de livrer des missiles Taurus par le fait qu’ils nécessiteraient une assistance de Berlin sur le terrain afin de pouvoir les opérer. «Ce qui est fait en termes d'acquisition de cible et d'accompagnement d'acquisition de cible de la part des Britanniques et des Français ne peut être fait par l'Allemagne», avait déclaré Olaf Scholz, dans des propos rapportés par Associated Press. «Les militaires allemands ne doivent à aucun moment et à aucun endroit être liés aux cibles que ce système frappe», avait-il ajouté.
«Secret de polichinelle»
Cette révélation intervient dans un contexte difficile sur le front pour l’Ukraine et de tensions internes entre les alliés européens de Kiev, après les propos le 26 février au soir d’Emmanuel Macron, qui avait refusé d’écarter la possibilité d’un envoi de troupes occidentales en Ukraine.
Ces échanges suscitent de vives tensions entre les alliés. Selon Le Monde, le 1er mars, ces déclarations avaient déjà «levé le voile sur la présence déjà effective de professionnels de divers services occidentaux sur le sol ukrainien». «Tous les États alliés sont présents en Ukraine. Il ne s’agit pas d’unités de combat, mais il y a, par exemple, des représentants de tous les services de renseignement», admet ainsi une source diplomatique ukrainienne du quotidien du soir, avant d’ajouter : «S’il y a des livraisons d’armes, il doit y avoir des gens qui donnent des informations pour utiliser les équipements sur place.»
Côté russe, le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov, en visite en Turquie, a voulu voir dans cette affaire l'illustration «que le camp de la guerre en Europe» était «toujours très, très fort». «Nos rivaux de toujours, les Allemands, sont redevenus nos ennemis jurés» et préparent des tirs de missiles pour frapper «la patrie» russe, a quant à lui jugé le numéro deux du Conseil de sécurité Dmitri Medvedev sur son compte Telegram.