Il entendait donner un coup de pied dans la fourmilière, c’est chose faite. L’interview de Vladimir Poutine, réalisée par Tucker Carlson, a fait l’effet d’une bombe dans la presse occidentale. La diffusion de cet entretien de plus de deux heures, entre l’un des journalistes les plus populaires des États-Unis et le président russe, a fait durant la journée du 9 février les choux gras des grands médias.
Tucker avait tiré la première salve
Quelques jours avant cette diffusion, Carlson avait annoncé la couleur. Par son interview de Poutine, le journaliste américain entendait apporter à ses compatriotes d’autres éléments pour appréhender un conflit qui se déroule à près de 8 000 kilomètres de Washington et pour lequel ils paient, comme il l'a évoqué dans une vidéo introductive l'avant-veille. Les médias des pays anglophones «sont corrompus», avait à cette occasion asséné Carlson. «Ils mentent à leurs lecteurs et téléspectateurs et ils le font la plupart du temps par omission», avait-il ajouté.
Le journaliste avait alors souligné qu’il était le premier en Occident, en près de deux ans de conflit entre l’Ukraine et la Russie, à tendre un micro au président russe. Une réalité qui contrastait selon lui avec l’attention offerte à Volodymyr Zelensky. «Ce n’est pas du journalisme, c’est de la propagande gouvernementale», avait-il asséné, qualifiant les interviews du président ukrainien aux États-Unis de «séances d’encouragement flatteuses». Un avis, que semblait d’ailleurs partager Elon Musk, qui avait «promis de ne pas supprimer ou bloquer cette interview».
L'hystérie avant, pendant et après l'interview semble avoir donné raison à Carlson, tant les médias occidentaux ont quasi-unanimement fustigé son interview du président russe. Carlson a été jugé coupable d’avoir laissé son interviewé exposer son point de vue ou encore de ne pas lui avoir posé les questions qui fâchent. D'ailleurs, ses pairs, à l’instar de la BBC, évitent au maximum d’employer le terme de «journaliste» pour le qualifier.
Indignation politico-médiatique
«Carlson a laissé à l'autocrate toute latitude pour manipuler le public et raconter sa version de l'histoire, aussi trompeuse soit-elle», s’est indigné CNN. La chaîne préférée des Démocrates a regretté notamment que Carlson n’ait pas évoqué les «accusations crédibles de crime de guerre» ou encore le sort d’Alexeï Navalny. Vladimir Poutine «se sentait clairement à l’aise dans le rôle d’explicateur», s’est ému le quotidien allemand Handelsblatt, face à un Tucker Carlson qui ne lui posait «pratiquement aucune question». «Poutine a utilisé Tucker Carlson pour nettoyer le sol du Kremlin», a titré sans ambages le magazine Rolling Stones. The Guardian, moins virulent que d’autres titres britanniques, a néanmoins souligné que Carlson s’était adressé au chef d’État russe en l’appelant «tout au long» de l’interview «Monsieur le président».
D’autres médias reprochent à Carlson son parcours, rappellent son passage chez Fox News, cette chaine qui a «apporté un soutien sans faille au candidat républicain» lors des présidentielles de 2020, note la RTFB. «La personnalité du journaliste est au moins aussi intéressante que celle de l’interviewé» juge ainsi la Radiotélévision belge, soulignant au passage l’«opposition à l’avortement et à l’immigration» de Carlson. Le média revient également sur les interviews que le journaliste a mené avec d’autres dirigeants à la réputation sulfureuse en Occident. Même angle d’attaque du côté du quotidien Le Soir, présentant Tucker Carlson comme «le trublion qui rapproche Trump et Poutine», et «servant la soupe aux autocrates de tous bords, de Donald Trump à Viktor Orban».
Procès d'intention et médisances
Les procès d'intention sont innombrables. Certains ont prêté à Carlson des arrières pensés militantes, si ce n'est propagandistes : «deux heures et sept minutes de questions rhétoriques, et de nombreux monologues, pour mettre en valeur le leader du Kremlin et faire passer, de la part de Carlson, un message républicain quelque peu subliminal, dans un étalage de publicité et de propagande qui a visiblement satisfait les deux parties, à en juger par leur complicité», s'indigne ainsi le quotidien espagnol El Pais, pointant du doigt la «publicité gratuite» que Vladimir Poutine aurait offerte à Donald Trump.
Cette interview aurait également été «l’occasion pour Vladimir Poutine, 71 ans, de nuire à la campagne présidentielle du président Biden, 81 ans, dont le soutien franc à Kiev contraste avec le scepticisme républicain», écrit pour sa part The Times, évoquant des «critiques» qui estiment que Tucker Carlson aurait été autorisé à interviewer le président russe uniquement parce que cela lui offrait la possibilité «de semer la discorde aux États-Unis et d’alimenter le scepticisme du public» concernant le financement de l’effort de guerre kiévien.
Bien sûr, les attaques ad personam sont légion. Comme dans les colonnes du New York Times, décrivant un Carlson «déclinant» en recherche de buzz après son éviction de Fox News, à l’instar du New York Times, pour qui Carlson est «revenu, au moins pour un instant, au centre de la politique américaine».
Le Kremlin dénonce la «jalousie» des journalistes occidentaux
En matière de chiffres, cette vidéo de l’interview de Poutine a dépassé les 150 millions de visionnage en moins de 24h, et ce sur la seule plateforme X. Un démarrage en trombe qui aurait de quoi faire pâlir les plus grandes stars de la pop.
Revenant sur les réactions au sein de certaines rédactions américaines, à l’égard de la diffusion de la vidéo de l’interview, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov avait pour sa part évoqué une «certaine jalousie professionnelle». «Au cours des trois ou quatre derniers jours, nous avons reçu plusieurs dizaines de demandes d’interviews du président Poutine de la part de médias étrangers. Ce sont les plus grands médias des États-Unis, de France, d’Italie, d’Autriche, d’Australie, de nombreux pays du monde», avait-il également déclaré lors de son point presse du 9 février.