Le maire de Troisdorf, ville de près de 80 000 habitants non loin de Cologne, ne s'attendait pas à être pris dans le tourbillon de la politique internationale. Mais c'est bien lui que le ministre allemand de la Défense a interpellé, début décembre à la Chambre des députés, en appelant communes et régions à œuvrer pour accélérer la cadence de la fabrication d'armes. «La pression [...] est grande car il y a en Europe et en Allemagne un véritable goulot d'étranglement sur les munitions», a lancé le ministre Boris Pistorius.
Un bras de fer oppose depuis des semaines la municipalité de Troisdorf au géant allemand de l'armement Diehl Defense qui produit dans son usine locale des dispositifs d'allumage nécessaires pour l'amorçage de grosses quantités d'explosifs, par exemple les charges de missiles et de roquettes.
Ces pièces entrent notamment dans la fabrication du système de défense aérienne mobile Iris-T, dont le gouvernement allemand a livré une troisième unité fin novembre à l'Ukraine.
Les stocks européens épuisés
Le site de Troisdorf est ainsi un maillon important pour servir les objectifs européens de soutien militaire à l'Ukraine, pays qui exhorte ses alliés à lui fournir plus de munitions au moment où il peine à repousser l'offensive russe.
L'UE s'est engagée au printemps à livrer d'ici mars un million d'obus à l'Ukraine. Elle a livré jusqu'à présent quelque 300 000 munitions d'artillerie en ayant recours à ses stocks, désormais épuisés.
La part de l'industrie allemande dans ce plan devrait être à terme de 300 000 à 400 000 obus par an, soit plus du triple de la production au moment de l'invasion russe de l'Ukraine début 2022, indiquent à l'AFP des sources industrielles.
Mais Diehl Defence voit l'avenir de son site de Troisdorf gravement menacé depuis que la ville a décidé de préempter une partie de la zone d'activité où le groupe est implanté, via sa filiale DynITEC.
Le fabricant d'armes souhaitait acheter le terrain, mis en vente par l'ancienne entreprise d'armement Dynamit Nobel, pour pouvoir étendre sa capacité de production.
La capacité de défense allemande «altérée»
De son côté, la municipalité envisage de transformer cette surface grande comme 50 terrains de football, idéalement placée près du centre-ville, en espace résidentiel et commercial.
«En remettant en question le site de Troisdorf, la capacité de défense de la République fédérale d'Allemagne est altérée», juge Thomas Bodenmüller, membre du directoire de Diehl Defence.
Un large spectre d'élus allant du maire conservateur (CDU) Alexander Bieber aux Verts et de la gauche radicale Die Linke, soit les deux tiers du Conseil municipal, refuse de sacrifier une telle superficie en pleine ville.
Car, selon l'argumentaire de la commune, «la production d'explosifs et d'engins de combat nécessite d'énormes surfaces de "dégagement"», c'est-à-dire des zones de protection autour de l'usine qui ne peuvent pas être construites, pour des raisons de sécurité.
Pour Marie-Agnes Strack-Zimmermann, présidente de la commission défense du Bundestag, la position du maire de Troisdorf «est tout simplement irresponsable». «Il s'agit de l'Ukraine, mais aussi et surtout de la sécurité de l'Allemagne», déplore-t-elle auprès de l'AFP.
Le maire de Troisdorf reste pour l'heure insensible à la pression nationale. De médiation en réunions de conciliation, la dernière avant Noël, aucun compromis n'a encore été trouvé. Il n'est pas le seul à faire de la résistance. Cet été, le groupe Rheinmetall, autre fleuron de l'industrie allemande de l'armement, avait dit renoncer à bâtir une usine de poudre dans la région de Saxe, à l'est de l'Allemagne. Le projet avait suscité des inquiétudes au sein de la population locale. L'usine devrait finalement être construite en Bavière.
Kiev a besoin de trois millions de munitions par an, a affirmé cet automne le ministre estonien de la Défense. Son homologue allemand a lui estimé que l'UE ne serait pas en mesure d'atteindre son objectif d'un million de munitions livrées à l'Ukraine d'ici le printemps 2024.