Des camions alignés par des manifestants ont bloqué le 6 novembre la quasi-totalité du trafic routier de trois points de passage entre l'Ukraine et la Pologne à Dorohust, Hrebenne et Korczowa, situés respectivement au nord, au centre et au sud de la frontière entre les deux pays.
Plusieurs dizaines de compagnies de transport polonaises dénonçaient ainsi la concurrence qu'ils jugent déloyale de la part des entreprises ukrainiennes. Selon eux, leurs revenus ont chuté suite à la libéralisation des règles de transport frontalier par l'Union européenne. «Nous voulons la restauration des règles de concurrence loyale», a déclaré à l'AFP à Dorohusk Rafal Mekler, co-organisateur de la manifestation.
«Leurs coûts d'entretien du camion, de recrutement d'un chauffeur ou simplement de lancement d'une entreprise ou d'assurance sont bien inférieurs comparé à la Pologne», a expliqué à l'agence de presse française Marek Oklinski, propriétaire d'une compagnie de transport. «Ils poussent les prix vers le bas et prennent la marchandise que nous transportions avant», ajoute-t-il.
Libéralisation des échanges UE-Ukraine
Fin juin 2022, dans la foulée de l'offensive russe, l'Union européenne et Kiev avaient signé un accord sur la libéralisation du transport routier afin de stimuler les exportations ukrainiennes. D'une durée initiale d'un an, cet accord a été reconduit jusqu'en juin 2024 et exempte les chauffeurs ukrainiens d'être en possession d'un permis de conduire international afin de rouler dans l'UE.
«Au cours de sa période de validité, le volume du trafic routier de marchandises bilatéral et de transit a augmenté de plus de 50%», s'était félicité en mars le vice-Premier ministre ukrainien Oleksandr Koubrakov, au moment de la reconduction de l'accord avec Bruxelles.
En mai 2022, le Conseil de l’UE avait adopté un règlement exonérant temporairement les Ukrainiens de tous les droits de douane aux frontières de l’Union qui n’avaient pas encore été levés dans le cadre de l’accord de libre-échange signé dans la foulée du coup d’Etat de Maïdan.
Haro sur les céréales ukrainiennes
L'application de cette libéralisation des échanges dans le domaine des céréales en particulier avait suscité de vives protestations au printemps de la part de cinq pays frontaliers de l'Ukraine, à savoir la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie et la Slovaquie, tous criant à la concurrence déloyale face à l'afflux massif de céréales ukrainiennes à bas coût.
En réponse, la Commission européenne avait octroyé à ces cinq pays une aide financière ainsi qu'un embargo limité à ces cinq Etats, à condition de ne pas bloquer le transit de ces marchandises vers les autres Etats membres. En septembre, Bruxelles avait fini par lever toutes les restrictions sur les importations de céréales ukrainiennes à destination des 27 Etats membres. Le gouvernement polonais, à l'instar des gouvernements hongrois et slovaque, avait néanmoins décidé de maintenir un embargo de manière unilatérale.
Quand la Pologne se fait timorée
Mais cette fois, le ministère polonais des Infrastructures a déclaré que le gouvernement ne pouvait pas satisfaire aux revendications des manifestants au vu des règles européennes : «L'accord a été signé par l'UE [...] d'un point de vue pratique, la Pologne n'a pas les moyens de restaurer le système de permis avant l'expiration de l'accord en question», a indiqué le ministère dans un communiqué adressé le 6 novembre à l'AFP, appelant les manifestants à cesser leurs blocages.
Depuis le début de l'intervention russe en Ukraine, le parti conservateur au pouvoir s'est affiché en soutien indéfectible de Kiev contre Moscou, alternant cette posture internationale avec des aménagements ponctuels pour donner satisfaction à son électorat en interne. Cela n'a pourtant pas empêché sa défaite en octobre dernier au profit de l'opposition pro-européenne.