«Ceux qui mènent l'enquête en Occident ne sont pas intéressés par la vérité», a accusé, le 26 septembre à New York, le représentant permanent à l'ONU de la Fédération de Russie, Vassili Nebenzia.
A l'occasion du premier anniversaire du sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2, le diplomate russe s'est livré devant le Conseil de sécurité à une nouvelle charge contre les lenteurs des investigations menées sur l'origine des explosions qui ont frappé les gazoducs Nord Stream 1 et 2 à l'automne 2022.
«En octobre 2022, la Russie a envoyé à Berlin, Copenhague et Stockholm des messages de la part du chef du gouvernement russe Mikhail Michoustine sur la nécessité de mener une enquête avec la participation des pouvoirs russes et de la société Gazprom», a encore souligné Vassili Nebenzia. Or, «un an après», a-t-il regretté, «nous n’avons toujours pas reçu de réponse».
Nebenzia fustige les Occidentaux
«L'attentat a été perpétré au moyen d’explosifs et relève donc de la Convention internationale du 15 décembre 1997» (relative à la répression des attentats), a rappelé le représentant russe, avant d'attirer l'attention de l'auditoire sur le fait que l’Allemagne, le Danemark et la Suède en faisaient partie et étaient donc «engagées par cette convention à enquêter sur les faits».
Vassili Nebenzia est également revenu sur l'hypothèse du journaliste Seymour Hersh, selon lequel «les auteurs de l'explosion étaient des plongeurs américains qui avaient agi au cours d’un entraînement de l’OTAN à l’été 2022».
Des accusations qui font notamment écho à la déclaration du président Biden, le 23 février 2022, où celui-ci affirmait que les «Etats-Unis stopperaient Nord Stream 2 si la Russie attaquait l'Ukraine». «On a donc demandé à l'Allemagne, à la Suède et au Danemark de couvrir l'implication de leur grand frère d'outre-Atlantique», a insisté le diplomate russe.
Il avait précédemment souligné les tentatives infructueuses de la Russie pour établir à l'ONU une commission d'enquête internationale : ces trois Etats «donnent l’illusion d’une grande activité, mais privent en fait les membres du Conseil d’un accès à l’information», a-t-il conclu.
Des circonstances toujours floues
La réunion s'était ouverte sur les interventions de deux experts. L’un d’eux, Dirk Pohlmann, un journaliste allemand indépendant et auteur de documentaires sur les opérations de renseignement, a souligné le «peu d'informations disponibles et notamment combien d’explosions avaient détruit les quatre sites supposés».
Le journaliste a également fait part de sa perplexité vis-à-vis de l’hypothèse selon laquelle l’opération aurait été menée par des plongeurs ukrainiens sur un voilier. «L’explosion se situait entre 75 et 80 mètres, ce qui nécessitait le recours à un caisson de décompression, que le voilier ne pouvait transporter, et à des plongeurs professionnels», a argué Dirk Pohlmann.
Se référant à la théorie de Seymour Hersh, supposant le recours à «un sonar qui aurait pu envoyer un signal codé qui a déclenché le chronomètre des explosifs, permettant aux Américains de se prévaloir du déni plausible pour cette opération», le journaliste a indiqué que cet équipement aurait pu être largué par un avion américain, et non norvégien comme le prétendait Seymour Hersh, évoquant la présence sur site d’un appareil de l’US Navy.
«Le 21 septembre un Poséidon américain s'est envolé de Sigonella, en Italie, jusqu'à un champ d'aviation en Allemagne et pendant trois nuits du 22 au 25 septembre il a fait des aller-retour au-dessus de Bandholm [Danemark, ndlr.] et le 26 il est revenu à Sigonella. Il aurait facilement pu lancer une bouée sonar à proximité de Bandholm», avance le journaliste.
Dirk Pohlmann a également rappelé le plan de sabotage en 1982 par les Américains, et contre l'avis du chancelier allemand de l'époque, du gazoduc de Yamal, qui relie les gisements russes à la Pologne et la Biélorussie, révélé par Thomas C. Reed, un officier de l’armée de l’air qui servait au Conseil national de sécurité à l’époque, dans son livre publié en 2004 et intitulé At the Abyss : An Insider’s History of the Cold War.
«Les experts font apparaître des témoignages nouveaux prouvant que ces explosions sont le fait de Washington, qui a projeté ces attentats pour promouvoir ses intérêts dans l’espoir de renforcer sa domination sur l’Europe», a accusé le diplomate russe devant le Conseil de sécurité.
Les alliés des Etats-Unis font bloc
En réponse à ces accusations, des représentants de pays alliés des Etats-Unis, à l'instar du Japon ou de la France, ont enjoint la Russie à «s'abstenir de spéculer» et se sont dits «confiants dans les enquêtes nationales».
Reprenant l'argumentaire britannique et américain, la France est allée jusqu'à s'interroger sur le fondement de la réunion sollicitée par la Russie. «Aucun élément nouveau ni crédible n'étant apparu qui justifie des débats», a estimé Nicolas de Rivière. Celui-ci s'est de surcroît étonné que «la Russie montre tant de préoccupations au sujet d'une infrastructure européenne alors qu'elle-même continuait d'infliger des destructions quotidiennes massives aux infrastructures civiles ukrainiennes».
A l'opposé, des pays membres ou proches des BRICS, tels que la Chine, le Ghana ou le Gabon se sont positionnés sur la ligne russe. Le Brésil, par exemple, a insisté sur l'«attention insuffisante portée aux conséquences écologiques» et sur la nécessité de «divulguer les conclusions préliminaires de ces enquêtes sur des actes menaçant la paix». «Le manque d’information fiable ne fait qu’attiser des tensions déjà très élevées», a-t-il en outre remarqué.