Le 19 juillet, RT a reçu Christelle Néant, rédactrice en chef du site Donbass Insider,expatriée à Donetsk depuis 2016. Elle nous a fait part de sa rencontre le jour même avec Vladimir Poutine, qui présidait la quatrième réunion du conseil de surveillance de la plateforme d'échanges «La Russie, pays d'opportunités». Elle a évoqué aussi ses activités dans le Donbass et l'attitude des autorités et médias français à son égard.
RT en français : Cet après-midi, vous avez participé à la rencontre de la plateforme «La Russie, pays d'opportunités» présidée par le président russe. Quelle impression en retenez-vous ?
Christelle Néant : J'étais assez impressionnée au début, c'était la première fois que je le rencontrais. J'étais très contente de voir qu'il soutient énormément l'importance de la vérité. Surtout quand on voit un certain nombre d'hommes politiques occidentaux qui passent leur temps à mentir, ça fait du bien de voir un homme d'Etat qui estime que c'est très important de dire les choses telles qu'elles sont.
RT en français : Comment vous êtes-vous sentie au Kremlin lorsque tous les regards étaient dirigés vers
vous ?
Christelle Néant : J'étais très impressionnée, j'avais aussi très peur de faire des fautes car le russe n'est pas ma langue maternelle, donc je devais être très attentive pour ne pas faire trop de fautes pour être compréhensible. Mais je suis très contente d'avoir pu venir même si mon arrivée s'est passée dans des conditions un peu épiques : au départ je devais intervenir en visioconférence depuis Lougansk et on m'a annoncé hier qu'il fallait que je vienne à Moscou. J'ai donc passé la nuit sur la route.
RT en français : Vladimir Poutine a salué le travail de notre chaîne de télévision RT dans des conditions parfois très difficiles, en particulier en France, avec des annulations de licences, des interdictions de diffusion, etc. Mais il a surtout fait l'éloge de votre travail en tant que journaliste et de votre projet Donbass Insider. Pouvez-vous s'il vous plaît nous en parler ?
Christelle Néant : Le projet Donbass Insider est né en 2018, après la fermeture de l'agence d'information dans laquelle je travaillais à Donetsk. J'étais consciente qu'il fallait une plateforme pour pouvoir continuer à partager mes articles et mes reportages. Donc j'ai décidé de créer mon propre site. Je suis ancien webmaster donc j'ai tout fait moi-même. On a commencé à deux personnes puis on a agrégé autour de nous des auteurs et chroniqueurs, notamment Faïna Savenkova, une jeune auteure qui vit à Lougansk. Maintenant, elle a sa propre émission sur le site qui s'appelle «Labyrinthe». Elle y interviewe des politiciens, des journalistes, des géopolitiques, parfois en russe, parfois avec traduction en anglais ou en français, et elle rencontre un certain succès.
Si tout le monde disait la vérité, nous ne serions pas dans la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Maintenant, notre idée est de réunir un certain nombre de journalistes occidentaux qui sont dans la même situation que moi, c'est-à-dire des journalistes indépendants, et de créer une véritable agence de presse internationale, dont le leitmotiv sera «dire la vérité, absolument toute la vérité». Je crois que c'est très important parce que si tout le monde disait la vérité, nous ne serions pas dans la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant.
RT en français : Quel a été le déclic pour démarrer ce projet ?
Christelle Néant : D'abord quand il y a eu Maidan, puis la Crimée et le début de la guerre dans le Donbass, j'ai beaucoup partagé de contenus de Russia Today et d'un certain nombre de journalistes indépendants comme Patrick Lancaster ou Graham Phillips qui étaient sur place. Puis en 2015 une agence a été créée, que j'ai commencé à aider. Et quand le dernier journaliste français est parti, j'ai réalisé qu'il n'y avait plus personne pour dire [en français] ce qui se passait réellement. J'ai été accusée de relayer de la «propagande du Kremlin».
Puis j'ai commencé à réfléchir au type de reportages que je voulais faire, en étant au maximum sur le terrain avec des sources primaires, c'est-à-dire des témoignages de civils. J'ai commencé à raconter tout ce qui se passait d'une manière très simple et sobre. J'ai essayé de faire tous les reportages à la première personne, en allant à la rencontre de la population. Et puis j'ai rejoint l'agence de presse à partir de 2016.
RT en français : Vous êtes venue dans le Donbass en 2016. Quel est votre travail maintenant ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Christelle Néant : La première difficulté était la langue car je ne parlais pas le russe à mon arrivée. Heureusement, j'avais une collègue qui parlait très bien anglais et m'a servi de traductrice au début. Puis elle m'a appris le travail de journaliste de guerre : comment filmer, quelles questions poser. Pour le reste, je me suis formée sur le tas.
Je fais très attention, surtout après [l’attentat] de Daria Douguina.
RT en français : Lorsque vous avez subi des pressions, quels ont été vos soutiens ?
Christelle Néant : J'ai reçu du soutien de la part de mes lecteurs, d'abord sur Telegram, puis sur le site. Les gens pouvaient laisser des commentaires, discuter avec moi, je répondais à leurs messages. Ils m'écrivaient beaucoup de mots d'encouragement. J'ai eu le soutien de mes proches aussi. Des menaces, j'en reçois régulièrement, beaucoup d'insultes, glissées dans les commentaires ou sur les réseaux sociaux. Mais je n'en tiens pas compte et je me concentre sur le positif.
RT en français : Vous vivez sur place, êtes-vous protégée au quotidien lorsque vous travaillez ?
Christelle Néant : Je fais très attention, surtout après ce qui est arrivé à Daria Douguina et Vladlen Tatarski. De plus, depuis 2016, je suis dans la base de données du site «Mirovtorets», qui est une Gestapo 2.0. J'ai toujours fait attention et je gère moi-même ma sécurité.
RT en français : Quelque chose a changé dans votre travail après le début de l'opération spéciale ?
Christelle Néant : Il est devenu très difficile de recevoir un soutien financier de la part de mes lecteurs car, dès le début de l'opération, toutes les plateformes de financement que j'utilisais ont été fermées. Mais, depuis, nous avons trouvé des solutions.
RT en français : Etes-vous rentrée en France?
Christelle Néant : Non, et je ne reviendrai pas tant que les autorités seront aussi russophobes. L'année dernière, un confrère a été arrêté à son retour du Donbass. En Allemagne, une consœur encourt trois ans de prison pour avoir simplement rapporté le fait que les gens du Donbass soutenaient l'opération spéciale. On en arrive au niveau des pires dictatures.
RT en français : Vous êtes une Française, vous avez un passeport français. Si vous rentrez en France aujourd'hui, vous serez arrêtée à la frontière ?
Christelle Néant : Oui, je pense que oui. J'ai déjà reçu des menaces du ministère français des Affaires étrangères en 2016. Nous organisions un voyage dans le Donbass de gens ordinaires, pas de politiciens ni de journalistes. Juste des gens qui voulaient voir la situation de leurs propres yeux. C'est à ce moment que j'ai reçu une lettre du ministère des Affaires étrangères me menaçant de poursuites judiciaires.
Les statistiques sont univoques : entre avant et après l'opération spéciale, mon audience a été multipliée par 40.
RT en français : Votre travail en France est régulièrement discrédité. Comment l'Etat français traite-t-il votre travail ? Quelles sont les conséquences de dire la vérité au public européen sur les événements dans le Donbass et en Ukraine?
Christelle Néant : Le gouvernement français ne se mouille pas et agit via des médias et des think tanks qui pondent régulièrement des rapports sur la désinformation russe. C'est assez caractéristique car à chaque fois ils nous dénient le statut de journaliste, nous désignent comme des blogueurs, les influenceurs, etc., mais jamais comme des journalistes, malgré le fait que nous ayons des cartes de presse.
Mais leurs tentatives de nous discréditer ne changent rien. Les gens qui voient les faits que nous relayons comprennent où se situe la vérité. De plus en plus de gens ouvrent les yeux sur ce qui se passe. Les statistiques sont univoques : entre avant et après l'opération spéciale, mon audience a été multipliée par 40.
Cela est dû au fait que les médias français donnent des explications tellement improbables sur les raisons pour lesquelles l'opération spéciale a commencé, que les gens ne comprennent pas l'origine du conflit. Et comme ils ne trouvaient pas de réponse claire à leurs questions, ils ont été les chercher chez moi entre autres. Alors ils ont trouvé des réponses claires, un historique, où je fais de la pédagogie et je leur explique l'histoire du Donbass et de l'Ukraine.
On a raconté que les soldats russes se battaient avec des pelles…
RT en français : Donc de plus en plus de gens veulent connaître la vérité, savoir ce qui se passe réellement et se tournent vers vous.
Christelle Néant : Oui, et ce phénomène s'est accentué avec les arguments de plus en plus absurdes de la propagande occidentale. Par exemple, on a raconté que les soldats russes se battaient avec des pelles... à tel point que même des personnes intoxiquées par la propagande se rendent compte que le discours est devenu absurde.
RT en français : Vous avez analysé les médias français. Selon vous, la propagande est «digne de Goebbels». Pouvez-vous nous en parler ?
Christelle Néant : Mes collègues et moi avons créé un groupe de bénévoles qui ont suivi pendant trois mois les publications de médias français et occidentaux (norvégiens notamment) pour étudier les articles consacrés au conflit en Ukraine et les classer en trois catégories : neutres, positifs pour la Russie ou russophobes. On a constaté que la grande majorité des articles était russophobe.
Et surtout, on s'est aperçus qu'un certain nombre de termes étaient répétés ad nauseam. Par exemple, dans le moindre article dont le contenu n'a qu'un rapport très éloigné avec l'Ukraine, on vous glisse un petit paragraphe sur «l'invasion ignoble de l'Ukraine par la Russie».
On a donc remarqué qu'il y avait des éléments de langage qui se répétaient non seulement au sein d'un même média, mais au sein de tous les médias français, du Figaro à Libération en passant par Le Point. Cela implique qu'il existe une concertation. Cela est assez inquiétant, car cela signifie que ces journaux sont aux ordres, qu'ils ne font plus leur travail. Nous avons ainsi effectué une analyse assez objective et le schéma qui se dessine est assez inquiétant.
RT en français : Vladimir Poutine a déclaré que, malgré ce qu'on nous fait croire, la Russie a «beaucoup d'amis», y compris en France. Avez-vous le sentiment que plus le conflit dure dans le temps, plus les gens changent d'avis sur ce qui se passe en Ukraine ?
Christelle Néant : Avant tout, les gens voient leur niveau de vie baisser. Pas seulement en France, mais aussi dans d'autres pays européens, ce qui est une conséquence des sanctions adoptées contre la Russie. Et les gens disent qu'ils veulent soutenir l'Ukraine, mais si cela signifie que le prix de leur essence va être multiplié par trois, ils ne sont pas si d'accord. C'est la première faille de soutien.
La seconde est, comme je le disais, la propagande absurde des médias et les gens y croient de moins en moins. Chaque mois, nous constatons l'arrivée d'environ un millier de nouveaux abonnés à notre chaîne. La plupart viennent de France, de Belgique, de Suisse, mais aussi de pays africains. Ces derniers ont souvent une bien meilleure compréhension de la situation car ils ne sont pas l'objet de ce matraquage que nous connaissons en France, en Allemagne ou en Angleterre.
Nous voyons de plus en plus de lecteurs du Moyen-Orient, du Maghreb, d'Afrique, voire d'Asie. Il y a la naissance d'une conscience des différents pays qui sont en-dehors de l'Occident que quelque chose ne va pas avec cet Occident et qui cherchent à s'informer réellement sur ce qui se passe. Et je pense que cet auditoire va continuer à croître.
RT en français : Aujourd'hui, lors de la réunion dans le cadre de la plateforme «La Russie, pays d'opportunités», quelles nouvelles opportunités avez-vous vu pour vous personnellement, quels projets vous ont le plus touchée ?
Christelle Néant : Entre autres, des projets liés à la pédagogie, à l'enseignement des valeurs dès l'enfance. Je pense que c'est très important car un enfant construit sans valeurs solides sera fragilisé et beaucoup plus facile à manipuler par la propagande.
Je m'intéresse aussi beaucoup à tout ce qui concerne l'intelligence artificielle. J'étais ravie d'apprendre que la Russie investit beaucoup dans ce domaine, je pense que cela va amener à des changements positifs, y compris dans le cadre du journalisme.
Par exemple, il y a des intelligences artificielles qui créent des images. Elles permettront de créer une image sur mesure pour illustrer parfaitement certains articles. Mais cela implique d'être honnête car le risque existe que certains en usent pour tromper les lecteurs. Il faudra réfléchir à cet aspect.