La séquence s'annonçait grandiose : le chef de l'Etat algérien escorté des Invalides à l'Elysée par la Garde républicaine à cheval, tout un symbole pour un pays en quête de reconnaissance internationale, de surcroît dans l'ex-puissance coloniale.
La visite, programmée d'abord début mai, avait été repoussée à juin, les Algériens craignant que la fête ne soit gâchée par les manifestations du 1er mai contre la très contestée réforme relevant de 62 à 64 ans l'âge de départ à la retraite, selon des sources concordantes.
Mais Abdelmadjid Tebboune n'a jamais confirmé sa venue, qui devait consacrer l'embellie entre les deux pays après de nombreuses crises diplomatiques. Les deux parties sont «en discussion pour trouver une date qui puisse convenir», se borne à déclarer l'Elysée, confirmant ainsi indirectement un nouveau report de la visite.
«C'est le énième épisode des relations tumultueuses et complexes qu'entretiennent Paris et Alger», résume Brahim Oumansour, directeur de l'Observatoire du Maghreb à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) de Paris.
Le président algérien est au final apparu le 15 juin au Kremlin, signant en grande pompe avec son homologue Vladimir Poutine plusieurs accords visant à approfondir le «partenariat stratégique» bilatéral. Le lendemain, dans le cadre de sa visite d'Etat de trois jours en Russie, Abdelmadjid Tebboune était l’invité d’honneur de la session plénière du Forum économique de Saint-Pétersbourg.
Leur échange lors de cette dernière rencontre a de surcroît de quoi froisser la diplomatie française. Plaidant pour un retour de la paix, le président algérien a par ailleurs déclaré que Vladimir Poutine était «un ami de l'humanité», saluant aussi les «propos modérés» de son homologue russe.
L’Algérie, candidate au club des BRICS
«Tout cela est quand même très incertain, très aléatoire, très contradictoire», concède une source diplomatique française auprès de l’AFP. A Alger, le sentiment antifrançais remonte régulièrement à la surface au gré des tensions. Le débat en France sur une éventuelle remise en cause de l'accord migratoire conclu en 1968 avec l'Algérie n'a rien arrangé non plus. A 18 mois de la présidentielle algérienne, une visite du président Tebboune en France pouvait jouer en sa défaveur, esquisse Brahim Oumansour.
La question de la colonisation française (1830-1962) pèse encore très lourd entre les deux pays. Le pouvoir algérien issu de la guerre d'indépendance (1954-1962) y puise sa légitimité. Une véritable «rente mémorielle», avait lancé Emmanuel Macron en 2021, suscitant alors l'ire d'Alger.
L'Algérie, candidate à l'entrée dans le club des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), préfère peut-être aussi «éviter toute fausse note avec une visite à Paris», poursuit l'expert de l'Iris.
Maghreb : Paris en froid avec Alger et Rabat
La visite à Moscou ne serait pas nécessairement vue d'un mauvais œil à Paris, selon un interlocuteur de l'AFP. «L'Algérie est un médiateur, quelqu'un qui peut parler à d'autres auxquels on ne parle pas. Le fait qu'elle parle aux Russes, à la limite c'est tant mieux», fait valoir la source diplomatique auprès de l'agence de presse.
Emmanuel Macron reste en revanche loin de son objectif de réconciliation des mémoires et de relance de la relation franco-algérienne, notamment au plan économique. En redoublant d'attention pour Alger, il a en outre plombé une relation déjà difficile avec le Maroc. «Le jeu d'équilibre de la France entre les deux pays est plutôt vu comme un double jeu», relève Brahim Oumansour.
Rabat, où il n’y a toujours pas d’ambassadeur de France, et Paris sont en froid depuis des mois. Un gel des relations qui s'ancre et perdure. A l'origine de cette grave brouille, les restrictions d'octroi des visas visant les ressortissants marocains, une mesure officiellement levée en décembre.
Mais au-delà, le Maroc reproche surtout à la France ne pas s'aligner sur les Etats-Unis et l'Espagne qui ont reconnu la marocanité du territoire disputé du Sahara occidental, considérée comme cause nationale à Rabat. La visite d'Etat d'Emmanuel Macron au Maroc, promise plusieurs fois, ne cesse aussi d'être reportée.