A peine remis de ses émotions après la finale de la Coupe du monde au Qatar, Emmanuel Macron a fait une halte sur le porte-avions Charles de Gaulle, au large de l'Egypte, avant de se rendre en Jordanie.
A bord du fleuron de la Marine nationale, le chef de l'Etat avait tenu a salué les militaires français «en Afrique, à la base H5 en Jordanie ou pour celles et ceux qui sont engagés dans le cadre de la Finul au Liban» mais également les armées présentes «en France métropolitaine, en Outre-mer mais aussi partout dans le monde».
Pour la deuxième année consécutive, le président français a coorganisé avec l'Irak «la Conférence de Bagdad» à Amman, le 20 décembre. Malgré les troubles internes, Paris a privilégié la capitale de la Jordanie, un pays relativement stable, pour ce sommet régional.
Compte tenu des bouleversements au Moyen-Orient, de la présence accrue de la Chine, des visées de la Turquie dans le monde sunnite, de l'influence iranienne dans la sphère chiite et des tensions récurrentes, la France essaye tant bien que mal de jouer des coudes dans une région mouvementée.
Cette deuxième édition met une fois de plus l'accent sur le dialogue, les négociations régionales mais surtout sur la stabilité et la souveraineté de l'Irak. En effet, depuis l'invasion américaine en 2003, le pays est en proie à des rivalités régionales et confessionnelles qui alimentent l'insécurité du Moyen-Orient.
Des absents et de l'angélisme
Mais ce deuxième opus a été marqué par l'absence de plusieurs dirigeants régionaux. Outre la non-venue sur la rive jordanienne de la mer Morte du président turc Recep Tayyip Erdogan et de l’émir du Qatar Cheikh Tamim al-Thani, c'est aussi Mohammed ben Salmane qui n'était pas au rendez-vous et ce, malgré l'insistance française.
Le président iranien Ebrahim Raïssi n'a également pas fait le déplacement en Jordanie. Toutefois, les chefs des diplomaties des puissances régionales étaient présents ainsi que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le monarque jordanien Abdallah II.
Pour la défense du président français, le contexte régional tendu ne se prêtait guère à un rassemblement des dirigeants du Moyen-Orient. Lors de la première édition en août 2021, Moustapha al-Kazemi, alors Premier ministre irakien de l'époque, était acquis à la cause de ce sommet. Or aujourd'hui, le chef du gouvernement irakien Mohammed Chia al-Soudani est proche politiquement de Téhéran.
De surcroît, les tensions sont à leur comble entre les deux rivaux régionaux : l'Iran et l'Arabie saoudite. Les autorités iraniennes, en proie à des manifestations massives depuis plusieurs mois, somment Riyad d'arrêter ses ingérences par l'intermédiaire des médias d'opposition. De ce fait, les négociations entre les deux pays pour renormaliser les relations bilatérales sont depuis caduques.
D'ailleurs, sans les nommer, le président français s'en est pris à l'influence iranienne et turque dans la région. «Je veux vous dire l’attachement de la France […] pour qu’il y ait une voie qui ne soit pas celle d’une forme d’hégémonie, d’impérialisme, de modèle qui serait dicté de l’extérieur», a taclé Emmanuel Macron.
«Nous devons mettre fin au terrorisme dans la région», a rétorqué l’ambassadeur de Turquie en Jordanie, en référence aux activités du PKK, un groupe kurde considéré comme organisation terroriste par Ankara, dans le nord de l’Irak et de la Syrie. Le chef de la diplomatie française a fait savoir que la France pourrait sanctionner la Turquie si elle continuait de frapper le Kurdistan irakien, rapportent RFI et le média kurde Rudaw. Paris a aussi évoqué de nouvelles sanctions contre l'Iran, selon les mêmes sources.
De son côté, le ministre iranien des Affaires étrangères Amir Hossein Abdollahian n'a pas mâché ses mots. «L’heure des fausses politiques est révolue», a répondu le chef de la diplomatie iranienne. «On ne peut pas marginaliser des pays», a-t-il ajouté, disant souhaiter un «accord fort et durable» mais qui «respecte les lignes rouges» de l'Iran. Il n'a pas hésité à rappeler le rôle primordial de Qassem Soleimani, homme fort de la politique étrangère iranienne assassiné par les Etats-Unis en janvier 2020, dans la lutte contre les organisations terroristes. Un message qui a provoqué l'ire des responsables sunnites du Golfe.
La France n'a plus les moyens de ses ambitions
Indépendamment du volet géopolitique, ce sommet était l'occasion pour la France de rappeler les défis sécuritaires de la région. Emmanuel Macron, qui reste dans le royaume hachémite jusqu'au 22 décembre a envoyé le ministre des Armées, Sébastien Lecornu sur la base aérienne projetée BAP H5 en plein désert. Deux cents militaires français sont stationnés ainsi que quatre Rafale pour poursuivre la lutte contre Daech en Syrie et en Irak.
Reste à savoir, si la France reviendra avec des contrats sous le bras. Lors de la précédente édition en Irak, le groupe Aéroports de Paris s’est vu attribuer le chantier de reconstruction de l’aéroport de Mossoul... avant que le contrat ne soit finalement raflé par une entreprise turque.
Malgré la bonne volonté d'Emmanuel Macron de rassembler les acteurs régionaux pour négocier et pacifier le Moyen-Orient, la France n'a plus, semble-t-il, ni les moyens de ses ambitions ni même la posture nécessaire dans la région. Incapable de résoudre à elle seule, malgré ses nombreuses initiatives, la crise au Liban depuis août 2020, l'influence française au Levant avait déjà du plomb dans l'aile. Privilégiant ses partenaires, menaçant arbitrairement de sanctionner d'autres acteurs régionaux, Paris persévère visiblement dans l'irrespect de plusieurs partenaires. Au point de devenir irrespectable ?
Une troisième édition de la Conférence de Bagdad est tout de même programmée en 2023 en Egypte.