«Conformément à la position du département de la Justice (DoJ), je suis maintenant autant passible de poursuites que Julian Assange», a confié Daniel Ellsberg lors d’une interview mise en ligne le 5 décembre par la BBC.
Aujourd'hui âgé de 91 ans, le principal acteur des Pentagon Papers (1971) – révélations qui lui valent d'être considéré comme le premier lanceur d'alerte de l'histoire contemporaine – a en effet expliqué à la télévision britannique qu'il avait eu en sa possession une copie des documents révélés dans l’affaire Manning, du nom de cet ancien analyste militaire accusé d’avoir transmis à WikiLeaks des preuves des exactions de l'armée américaine au cours de ses interventions en Irak et en Afghanistan.
Assange pouvait compter sur moi pour trouver un moyen de les faire sortir
«J'étais en possession de la totalité des informations confiées par Chelsea Manning, avant même qu'elles ne soient rendues publiques», a-t-il assuré au journaliste britannique. «Assange pouvait compter sur moi pour trouver un moyen de les faire sortir», a poursuivi celui qui est considéré comme le père des lanceurs d’alerte.
Une prise de parole qui, selon lui, pourrait l’exposer aux foudres de l’administration américaine. La publication en 2010, par WikiLeaks, des documents que Daniel Ellsberg affirme détenir, est à l’origine de l’acharnement de Washington à l’encontre de Julian Assange et de Bradley (devenu Chelsea) Manning. Cette dernière, analyste du renseignement militaire américain, a été arrêtée dès 2010 en Irak et condamnée à 35 ans de réclusion après avoir été reconnue coupable par une cour martiale de 19 chefs d’accusation. Commuée en 2017 par le président de l'époque, Barack Obama (2009-2017), Chelsea Manning a été de nouveau écrouée en 2019 pour avoir refusé de témoigner dans une enquête sur WikiLeaks. Elle a été libérée le 12 mars 2020 après une tentative de suicide, au terme de 301 jours d’incarcération.
Assange, toujours menacé de finir sa vie dans une prison américaine
Quant au journaliste australien, emprisonné au Royaume-Uni depuis plus de trois ans et demi, il est menacé d’extradition vers les Etats-Unis où il encourt 175 ans d’emprisonnement. Initialement accusé d’avoir organisé avec Chelsea Manning un «piratage informatique», Julian Assange s’est vu inculpé de 17 chefs d’accusation supplémentaires prévus par la loi de l’espionnage (Espionage Act). Parmi ces derniers, l'«obtention et la réception non autorisée d'informations relatives à la Défense nationale». Face au mutisme des chancelleries occidentales, le fondateur de WikiLeaks s’était réfugié au sein de l’ambassade de l’Equateur à Londres durant sept ans avant d’être finalement arrêté.
Partager le sort d’Assange ? Une perspective que ne semble pas redouter le nonagénaire Daniel Ellsberg, bien au contraire. «Je serais heureux de porter cela devant la Cour suprême», a-t-il lâché à son interlocuteur de la BBC. Pour l’homme qui a fait tomber Nixon, l’usage que fait le département américain de la Justice de la loi sur l’espionnage à l’encontre des lanceurs d’alerte serait «inconstitutionnel». «C’est une violation flagrante du 1er amendement» de la Constitution des Etats-Unis, a-t-il insisté.
Menacé de 115 ans d’emprisonnement, après avoir révélé en 1971 les motivations réelles ainsi que les exactions des Etats-Unis au Vietnam, Daniel Ellsberg fut lui-même la cible de lourdes poursuites et de tentatives d’intimidation. Les poursuites pour vol, conspiration et espionnage lancées à son encontre ne furent abandonnées qu’après la démission de Richard Nixon à la suite du scandale du Watergate.