France

«Les juifs ont-ils trop de pouvoir ?» : polémique et confusion autour d'un sondage

L'intitulé d'un sondage diffusé le 26 janvier sur BFMTV a suscité de vives réactions. Certains y ayant vu une manifestation d'antisémitisme. Cette étude a cependant été commandée par une organisation américaine de défense de la communauté juive.

BFMTV a engendré une polémique après avoir diffusé les résultats d'un sondage le 26 janvier, avec la question «Les juifs ont-ils trop de pouvoir ?». De nombreuses personnes ont réagi sur les réseaux sociaux, s'insurgeant contre une formule jugée antisémite. Notamment le socialiste Julien Dray: «Ainsi donc BFM publie un sondage ou la question posée comme si de rien n’était est... les juifs ont-ils trop de pouvoir en France ? Si ça ça choque personne alors franchement on atteint un degré de folie grave…», s'est-il alarmé.

Le Midi Libre rapporte d'autres réactions, dont celles d'un juriste qui s'est interrogé, également sur Twitter : «Y'aura-t-il un sursaut médiatique ou continuera-t-on à se vautrer dans la fange ? Ainsi le sondage de BFM sur le pseudo-pouvoir des juifs en France est antisémite et ABJECT». Ou encore celle d'un journaliste du Figaro ironisant sur la question de l'étude : «Nouveau sondage BFM : les juifs ont-ils le nez crochu ?». Certains y ont même vu un «sondage du IIIème Reich colorisé».

Un sondage commandé par l'American Jewish Committee et la Fondation pour l'innovation politique

La journaliste indépendante Sandrine Chesnel a quant à elle invité à resituer le débat, remarquant que le sondage incriminé a été réalisé par l'Ifop et commandé par l'American Jewish Committee, organisation de défense des juifs située aux Etats-Unis mais qui compte plusieurs branches à travers le monde. Celle-ci se définit comme la «doyenne» des associations de juifs vivant aux Etats-Unis et se fixe pour mission de «contrer l'extrémisme», «combattre l'antisémitisme», ainsi que de «défendre Israël».

L'enquête a effectivement été menée par ses antennes européenne et française, en lien avec la Fondation pour l'innovation politique, un cercle de réflexion qui se situe plutôt au centre-droit. Celle-ci explique, en présentant la démarche ayant conduit à cette enquête, intitulée Radiographie de l’antisémitisme en France, que «l'édition 2022 s’inscrit dans la continuité des travaux entrepris par l’American Jewish Committee (AJC) et la Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop depuis 2014», et que «la plupart des questions» posées lors de la dernière édition en 2019 «ont été reconduites à l’identique, [...] afin d’identifier d’éventuelles évolutions dans les comportements et opinions exprimés».

Il s'agissait notamment de mieux cerner le «poids des préjugés à l’égard des juifs dans la société française en 2021», alors que la pandémie a conduit à une recrudescence de vieux thèmes antisémites, dont «la supposée mainmise des juifs sur les principaux médias, sans oublier la notion de complot juif» - avec l’usage du pronom «qui» dans certains rassemblements, ainsi que les étoiles jaunes portées par certains manifestants opposés au pass sanitaire ou vaccinal.

C'est d'ailleurs la directrice d'AJC Europe, Simone Rodan-Benzaquen, qui a présenté sur BFMTV les résultats de l'étude, selon laquelle, entre autres chiffres, 68% des juifs de France déclarent avoir subi des moqueries et vexations, et 20% affirment avoir été victimes d’agressions physiques. Selon la Fondation pour l'innovation politique, «l’identification en tant que juif dans l’espace public français constitue un facteur de risque et expose particulièrement à la violence».

Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), François Khalifat, s'est d'ailleurs exprimé sur l'augmentation des actes antisémites ce 27 janvier, qui marque la Journée internationale à la mémoire des victimes de la Shoah et l'anniversaire de la libération du camp d'Auchwitz. «27janvier 1945 le camp d'Auschwitz était libéré. 27 janvier 2022 l’antisémitisme est toujours d’une insupportable actualité. Hausse de 75% des actes et violences antisémites entre 2020 et 2021», a-t-il alerté, en interpellant Emmanuel Macron, Gérald Darmanin et le service de protection de la communauté juive, créé en 1980 après  l’attentat de la rue Copernic à Paris.

Tout en s'inquiétant de certains résultats, la Fondation pour l'innovation politique remarque que «la crise sanitaire ne s’est pas accompagnée d’une poussée de l’antisémitisme que l’on pouvait redouter». Cependant, «les stéréotypes négatifs à l’égard des juifs sont toujours aussi présents dans l’opinion publique française. Si les proportions sont restées stables depuis notre enquête de 2019, il demeure important de retenir qu’entre un quart et un tiers de nos concitoyens partagent ces préjugés antisémites», souligne-t-elle.