Dans un entretien publié par L'Express le 19 novembre, l'ancienne secrétaire d'Etat Rama Yade a salué l'émergence des mouvements «woke», en particulier Black Lives Matter (BLM) et Me Too, évoquant «un noble combat». Résidant à Washington depuis trois ans, celle qui a été en charge des Affaires étrangères et des Droits de l'homme de 2007 à 2009, puis des Sports jusqu'en 2010 sous Nicolas Sarkozy, a expliqué que BLM était «un mouvement salutaire car il a rappelé, pour la déplorer, la persistance des catégorisations raciales aux Etats-Unis».
Interrogée sur les éventuelles dérives de ce courant de pensée et sur ses implications en France, Rama Yade a estimé que «passer à Paris devant la figure de Colbert, ce grand ennemi de la liberté», était «une micro-agression». Revenant sur le déboulonnage de statues de l'ancien roi belge Leopold II, la désormais directrice Afrique du groupe de réflexion Atlantic Council a inversé la culpabilité : «Ceux qui ont déboulonné ces statues n'ont pas fait de cancel culture, au contraire. Ils ont réhabilité l'histoire, la totalité de l'histoire qu'ils connaissent bien, eux, au moins. Celle que la mémoire sélective de certains de nos dirigeants a voulu dissimuler. En fait, ce sont eux qui ont fait de la cancel culture en empêchant les Français et les Européens de connaître l'histoire de ces soi-disant héros», a-t-elle expliqué.
La nature profonde de l'universalisme doit être l'antiracisme
Plus généralement, au sujet des mouvements intersectionnels, Rama Yade a estimé que le «wokisme» avait été brandi «de manière abusive comme un outil de censure». «En réalité, c'est juste le refus des discriminations. [...] C'est un noble combat, de justice et de revendication d'égalité dont devrait s'enorgueillir la patrie des droits de l'homme», a-t-elle poursuivi, pointant le fait que «ce mouvement qu'on dénonce comme une importation américaine nous vient bien de France, de la French Theory qui en effet a infusé dans les universités américaines». «De Lacan à Foucault, ce sont des penseurs français qui ont inspiré le mouvement "woke" ! Soyons-en fiers en tant que Français !» a-t-elle ajouté.
Ainsi, selon l'ex-responsable politique, il faudrait «des Black studies [champ d'études universitaires consacré à l'histoire et la culture de la diaspora africaine] dans les universités françaises pour que nos intellectuels, professeurs, chercheurs puissent développer une réflexion bien française sur ces thématiques-là». «La nature profonde de l'universalisme doit être l'antiracisme. [...] Au fond, je trouve qu'il n'y a rien de plus républicain que le mouvement Black Lives Matter et le mouvement Me Too», a-t-elle conclu.
Rama Yade a par ailleurs jugé que sa nomination en 2007 à un haut poste politique relevait de l'exception : «J'étais une licorne ! J'étais une anomalie, pas du tout un prototype. Combien depuis ? Et les discriminations, ont-elles disparu ? Dès que j'ai passé la porte, on l'a fermée derrière moi», a-t-elle déploré.