Avant d'être annulée pour des raisons de communication politique (Gérald Darmanin devant accompagner Emmanuel Macron dans son déplacement à Douai), une nouvelle édition du Beauvau de la sécurité devait réunir des représentants des forces de sécurité et le Défenseur des droits Claire Hédon autour d'une table ronde ce 28 juin.
Le sujet fixé était le contrôle interne des forces de sécurité, à savoir les inspections générales de la police nationale (IGPN), de la gendarmerie (IGGN) et de l'administration (IGA)... On peut le supposer du moins, car le site du ministère de l'Intérieur annonce pour sa part, très sobrement : «28 juin matin : table-ronde sur le contrôle interne».
Une source policière qui devait y participer a expliqué à RT France : «On a juste reçu un mail la semaine dernière qui nous disait que c'était reporté à début juillet, sans même nous donner une raison. Ils voulaient peut-être digérer les élections régionales et départementales...»
A l'occasion de ce rendez-vous manqué (reporté au début du mois de juillet selon le cabinet de Gérald Darmanin), nos confrères de La Croix font quant à eux valoir que les sanctions à l'encontre des policiers sont en baisse.
Produisant des chiffres de l'IGPN, le quotidien chrétien explique que selon le bilan social annuel de la police «le nombre de sanctions diminue d’année en année» : «1 678 sanctions disciplinaires en 2019, contre 2 030 en 2018, 2 070 en 2017, 2 054 en 2016»... La décrue des sanctions est effectivement notable, même si elle n'est pas vertigineuse.
Un syndicaliste de l'Union des officiers (UDO-Unsa Police) explique à La Croix : «Le nombre de sanctions a considérablement chuté en cinq ans, mais cela ne traduit pas un relâchement de la surveillance. L’accent a été mis sur la pédagogie et le rappel à la règle, on a davantage de temps pour apprécier la faute, s’il y a faute, et regarder le dossier individuel pour voir si l’agent pose problème ou si c’est un excellent policier.»
Et de souligner un changement de culture à l'IGPN qui aurait mis fin à la «culture de la sanction systématique.»
La Croix ajoute qu'au cours de l'année 2019, la majorité des sanctions concernaient des négligences professionnelles (près de 34%), ainsi que des manquements au devoir d'exemplarité (près de 24%). Les sanctions reçues dans presque 90% des cas sont qualifiées de minimes par le journal, allant de l'avertissement au blâme... Il faut préciser ici que le conseil de discipline qui propose une sanction est également paritaire, c'est-à-dire qu'il est composé en partie des représentants des grandes familles syndicales, lesquelles transmettent leurs consignes, surtout dans les cas les plus médiatiques.
Le paradoxe IGPN : machine à blanchir pour les uns, machine à broyer pour les autres
Dans le cas de la plateforme parisienne, la direction des ressources humaines de la préfecture de police a également son mot à dire et dans le cas de certaines décisions très politisées, les hautes autorités administratives seront particulièrement attentives aux sanctions prononcées... Selon une source policière, ce petit détail pourrait par exemple avoir coûté son poste à l'actuel DRH de la préfecture de police de Paris qui est annoncé comme partant de l'Ile de la Cité.
Il convient donc de garder à l'esprit que les personnalités politiques tiennent à ce que certains cas disciplinaires servent d'exemple pour les autres fonctionnaires et surtout qu'ils permettent de promouvoir une certaine idée des forces de sécurité. Le syndicaliste policier rebelle Alexandre Langlois faisait récemment valoir dans un message à la direction des ressources de la police nationale, dont RT France a eu copie, que le ministre de l'Intérieur lui-même le brocardait lors d'une table ronde du Beauvau de la sécurité : «Les déclarations du ministre dans le cadre du Beauvau de la sécurité me visaient personnellement et portaient atteinte à mon honneur.»
Pour mémoire, Gérald Darmanin s'est prononcé pour une révocation de l'intéressé avant que le tribunal administratif ne casse cette décision le 16 avril.
Il s'agit d'un serpent de mer en police nationale et les responsables syndicaux aiment le rappeler régulièrement aux journalistes : alors que les policiers représentent moins de 8% des fonctionnaires, les sanctions qui les visent représentent la moitié de celles prononcées.
Confronté à une mauvaise image liée aux graves blessures infligées aux Gilets jaunes lors d'opérations de maintien de l'ordre et aux errements de certains fonctionnaires dans les quartiers les plus difficiles, Christophe Castaner avait toutefois annoncé une réforme des moyens de contrôle interne des forces de sécurité. La perspective d'une refonte du système sous l'égide de l'Inspection générale de l'administration avait même été évoquée... Depuis, l'IGPN semble toutefois avoir gardé sa forme antérieure.
Le Beauvau de la sécurité, qui a été lui-même lancé principalement en réaction à l'affaire Michel Zecler et qui devait apporter «plus de transparence» selon le ministre, devra-t-il déboucher sur un nouveau contrôle des forces de sécurité ?
Le nom de la table ronde lui-même laisse peu de doutes sur la réponse : l'appellation «contrôle interne» ne préfigure pas une révolution déontologique en la matière. Certains observateurs auraient par exemple aimé voir un contrôle extérieur et plus indépendant s'exercer. De l'intérieur, les policiers contactés par RT France continuent pour leur part de voir «les bœufs» comme une «machine à broyer les flics».
Le Beauvau de la sécurité lui-même n'a pratiquement pas intégré d'acteurs de la société civile, malgré la venue de quelques élus très favorables aux policiers et aux gendarmes et ne semble pas devoir déboucher sur autre chose qu'une éventuelle loi de programmation de la sécurité intérieure.
La table ronde sur le maintien de l'ordre a tout bonnement disparu du programme initial et après celle reportée sur le «contrôle interne», une dernière est prévue le 7 juillet «sur les conditions matérielles, le soutien et la captation vidéo».
En matière d'intérêt général, on peut simplement espérer des échanges nourris entre le Défenseur des droits, le référent déontologue du ministère de l'Intérieur et la directrice de l'IGPN, Brigitte Jullien, si elle est présente à cette table ronde retransmise en vidéo sur les réseaux sociaux.
Antoine Boitel