Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement National, s'est exprimé sur le plateau de RMC le 21 juin au sujet d'une photo prise dans son bureau de vote lors du premier tour des élections régionales et départementales du 20 juin. On y voit la jeune tête de liste du RN en Ile-de-France signer le registre tenu par un assesseur portant le voile islamique, ce qui a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux et relancé le débat sur la neutralité religieuse des collaborateurs du service public
Face à Jean-Jacques Bourdin, qui lui demandait s'il partageait certaines vives réactions de son camp politique, Jordan Bardella a assuré que combattre le voile ne revenait pas nécessairement à combattre des personnes et a souligné que «lorsqu'on représente l'Etat, lorsque, pour la journée au moins, on remplit des missions de service public, on ne devrait pas pouvoir porter un signe ostentatoire, y compris religieux».
Avant lui, plusieurs personnalités ont également réagi à la photographie. Ancien délégué national du parti, Jean Messiha a ainsi déclaré sur Twitter : «Chacun sa vision de la laïcité et de la France. Personnellement, j'aurais refusé d'émarger la liste de vote devant cette islamiste. On ne se soumet pas !»
Jean-Yves Le Gallou, ancien député européen passé par le Front nationale et le Mouvement national républicain, a lui vivement critiqué Jordan Bardella sur le même réseau social.
De son côté, le chroniqueur et avocat Charles Consigny a assuré, toujours sur Twitter : «Beaucoup de commentaires hostiles à cette femme sous ce tweet dont Jordan Bardella n’a pas choisi la photo au hasard. Je remarque que pendant que beaucoup de Français ne vont même pas voter, elle prend le temps de tenir un bureau de vote. Alors de quoi l’accuse-t-on ?»
Enfin, le maire de Saint-Denis Mathieu Hanotin (PS) a mis en ligne sur Facebook un communiqué de presse dans lequel il explique : «Le port du voile ou d'un quelconque signe religieux n'est absolument pas prohibé pour les assesseurs, si la neutralité politique est requise dans un bureau de vote, ce n'est pas le cas de la neutralité religieuse. Celles et ceux qui invoquent un quelconque argument légal ont donc tort.»
Le débat sur la neutralité des collaborateurs du service public, même occasionnels et bénévoles, n'est pas neuf. En matière électorale, le ministère de l'Intérieur, contacté par nos confrères de Libération, estime que «seul le président du bureau de vote est tenu à la neutralité religieuse car il représente l’Etat. En revanche les assesseurs sont des auxiliaires qui ne sont pas tenus à la neutralité». Une position qui n'est pas partagée par d'autres institutions comme le Conseil constitutionnel ou le Conseil d'Etat.
Rififi institutionnel sur le port du voile des collaborateurs du service public
Les Sages considèrent ainsi que «les bureaux de vote doivent demeurer des lieux neutres dans lesquels les citoyens puissent accomplir leur devoir électoral en toute sérénité et à l’abri de toute pression» mais que cela concerne «l’affichage ou diffusion de messages politiques de nature à perturber le bon déroulement des opérations électorales». Resterait donc à définir si le port du voile est aussi bien un signe religieux ostentatoire qu'un message politique...
Le Conseil d'Etat est quant à lui plus généraliste puisqu'il a considéré dans un arrêt du 15 novembre 2004 qu'«au cours du déroulement du scrutin, le président et les membres du bureau de vote sont, eux-mêmes, astreints à une obligation de neutralité». Si cela fait donc bien des assesseurs des collaborateurs du service public, la jurisprudence n'a cependant pas tranché les nombreuses divergences sur la question du port du voile qui déchire plus largement le débat juridique, sans compter les appréciations contradictoires de la jurisprudence administrative pour savoir qui est usager et qui est collaborateur d'un service public. Le projet de loi portant sur le respect des principes de la République pourrait peut-être mettre fin au rififi institutionnel puisque son premier article dispose que le principe de neutralité s'impose dès lors que la mission effectuée est une mission de service public, peu importe que l'organisme soit de droit public ou de droit privé.