France

Les Républicains réfléchissent à un virage social en vue de la présidentielle 2022

Le parti de la droite traditionnelle a présenté plusieurs mesures anti-pauvreté qui visent à le démarquer de la ligne libérale de LREM. Mais une frange de LR se montre hésitante face à cette nouvelle stratégie.

Comment se différencier du libéralisme prôné par Emmanuel Macron pour exister lors de l’élection présidentielle 2022 ? A cette question, une partie des leaders du parti Les Républicains (LR) commencent à répondre par une multiplication de touches plus sociales insérées dans leurs propositions de réformes. Autant pour se démarquer du président de République que pour conjurer l’image très libérale et conservatrice laissée par François Fillon, le candidat du parti de droite en 2017.

Un plan anti-pauvreté contenant 15 mesures fortes a ainsi été présenté le 9 février, et porté médiatiquement par le numéro 3 du mouvement, le secrétaire général Aurélien Pradié, jeune député du Lot (34 ans). Au programme, entre autres, loin des coupes dans les finances publiques préconisées du temps de Fillon : des chèques alimentaires de 450 euros par trimestre pour les plus précaires ; 300 000 emplois aidés dans l’administration, les collectivités, les associations ou l’université pour les jeunes (des «jobs pour la nation») ; le droit pour les maires de réquisitionner des bâtiments publics inutilisés pour y développer des logements sociaux ; l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraités voulue par Macron ;  la grande distribution invitée à bloquer les prix de «trente produits d’hygiène féminine et infantile» ; un prêt de 50 000 euros garanti par l’Etat pour les jeunes souhaitant financer leur projet professionnel ; une multiplication par vingt de l’amende imposée aux commerces détruisant leurs invendus alimentaires. Enfin, et c’est la mesure la plus symbolique, LR propose d’augmenter de 5% le salaire net de 90% des Français, grâce à une division par deux de la CSG pesant sur les revenus du travail. Une idée de Guillaume Peltier, député du Loir-et-Cher et numéro 2 du parti.

Un véritable tournant donc pour la droite traditionnelle, qui va jusqu’à créer des remous en son sein. «Notre crédibilité ne peut pas reposer sur un concours d’idées alignées les unes après les autres, sans cohérence», s’est inquiété Eric Woerth dans L’Opinion. «Je suis un peu malheureux d’être devenu un député de la droite socialiste», a ironisé un député LR dans le même journal. Selon le quotidien libéral, le patron Christian Jacob a tenu à remettre l’église au centre du village lors du bureau politique du parti le 9 février, jour de présentation du plan anti-pauvreté : «Notre ligne ne souffre d’aucune ambiguïté. Ceux qui critiquent le gauchisme du programme de LR sont ceux qui n’ont pas lu les propositions.»

Cela n’a pas suffi à éteindre l’incendie. «Il faut sortir des solutions à la poudre de Perlimpinpin. Arrêtons de faire croire aux Français que, par un simple coup de baguette magique, on peut augmenter les salaires», s’était déjà alarmé le chef des sénateurs LR Bruno Retailleau dans Les Echos, le 18 janvier, alors qu’Aurélien Pradié avait même avancé en décembre 2020 l’idée – finalement ajournée – d’une forme de revenu universel. «Le revenu universel, c’est l’alliance des ultralibéraux et des rejetons du marxisme», a rejeté dans Libération le député du Vaucluse Julien Aubert, qui poursuit : «Pour les premiers, la robotisation rend les gens toujours moins employables : on peut donc les payer à ne rien faire, pour qu’ils continuent de consommer. Les seconds ont une aversion profonde pour le travail, vu comme une aliénation. [L’envisager], c’est une défaite de la pensée et, sur le plan budgétaire, un truc infâme.»

Un vote populaire perdu depuis trop longtemps ?

Ce «truc infâme» fait pourtant toujours débat chez Les Républicains, au-delà du seul Aurélien Pradié. Deux proches du possible candidat du parti Xavier Bertrand (qui n’est lui-même plus membre de LR), les députés Julien Dive (Aisne) et Stéphane Viry (Vosges), réfléchissent à un projet de «revenu "seuil" avec contreparties». «Nous saurons faire converger ce travail avec celui d’Aurélien. J’ai moi-même bougé sur le sujet, donc en débattant au sein du parti, on peut avancer», , a expliqué le premier à Libération. Le second a déjà donné une échéance, promettant de produire «au printemps un avis éclairé sur la question», précisant : «Si on considère que ce sera un débat de la présidentielle, autant cranter quelque chose.»

Cranter certes, mais l’accroche peut-elle prendre auprès de l’électorat naturel du parti ? Comment faire venir des électeurs sans effrayer les actuels ? «Malheureusement pour elle, la droite a perdu depuis longtemps le vote populaire. Récemment, elle a en plus perdu les cadres supérieurs, et doit désormais se contenter du vote des retraités. C’est là son principal problème. Le vote ouvrier va désormais avant tout vers le RN. Le reste se disperse vers la FI et bizarrement vers Macron, qui a quand même des promesses d’activité, mais pas chez LR», souligne le politologue et sondeur Jérôme Sainte-Marie, président de l’institut PollingVox, auprès de RT France. Selon lui, chercher le vote populaire ne devrait pas être «la priorité» du parti, car il serait «trop difficile de reconquérir des positions dans cet électorat». 

LR doit en effet déjà batailler pour conserver son type d’électeurs actuel. La sociologie des votants aux Européennes de 2019 (au cours desquelles le parti avait réalisé un score historiquement bas de 8,4% des suffrages) est alarmante pour la droite traditionnelle, comme le soulignait Ipsos dans une note de mai 2019 qui analysait les grandes tendances du scrutin européen : Les Républicains n’avaient capté que «9% des suffrages dans la catégorie 60-69 ans (23% pour LREM), 15% dans la catégorie 70 ans et plus (33% pour LREM)». «[LR] ne capte que 11% du vote des retraités (30% pour LREM), est aussi largement derrière dans la tranche supérieure de revenus (10%, pour 26% qui ont choisi LREM). Symptomatiquement, la liste LR n'a réussi à mobiliser que le tiers de l'électorat de François Fillon à la présidentielle ; 27% lui ont préféré la liste LREM et 18% celle du RN», pouvait-on encore lire dans la note.

L’idée de la droite sociale peut être crédible

Aurélien Pradié en est donc convaincu, le social est la stratégie à suivre, car selon lui, «aujourd’hui, un responsable politique conscient et lucide ne peut pas ignorer ce sujet». «Aujourd’hui c’est le sanitaire, demain ce sera le social», a-t-il ainsi expliqué au Monde. «Peu à peu, on a installé l’idée que nous devions être les défenseurs de la justice sociale», a-t-il également justifié, convoquant à propos l’histoire de son parti. «Rappelons-nous que le SAMU social, c’est la droite», a-t-il notamment fait valoir, en référence au dispositif mis en place en 1993, alors qu'Edouard Balladur était Premier ministre. L’argument se tient, d'après Jérôme Sainte-Marie, pour qui «l’idée de la droite sociale peut être crédible». «De Gaulle et Chirac l’ont fait. Et d’une certaine manière, Nicolas Sarkozy, avec 50% du vote ouvrier au second tour 2007 face à Ségolène Royal, a su parler aux catégories populaires», poursuit-il. 

Un retour au concept de «fracture sociale» cher à Jacques Chirac en 1995 serait donc possible, même si LR doit encore trancher entre les différents courants qui l’animent. «On ne peut pas être néolibéral au plan économique et social en même temps. C’est la contradiction terrible des LR : il faut faire un choix. L’emportera celui qui sera dans la cohérence la plus ferme entre valeurs culturelles et valeurs sociales», souligne auprès de RT France le politologue Stéphane Rozès, président de Cap et enseignant à Sciences Po et HEC.

En attendant de savoir laquelle des ailes du parti (libérale pour Retailleau, social-conservatrice pour Peltier et Pradié) l’emporte, le plan anti-pauvreté du 9 février a déjà été fortement attaqué par l’institut Montaigne, connu pour ses positions libérales. A travers une note de l’économiste François Ecalle, le groupe de réflexion privé estime que les mesures proposées par Les Républicains creuseraient les finances publiques, avec 70 milliards d'euros de baisse des prélèvements obligatoires, contre seulement 28 milliards de recettes, pour un écart de 42 milliards. «En outre, ces mesures de baisse des prélèvements obligatoires aggraveraient mécaniquement le déficit et l'endettement publics dès leur mise en œuvre alors que les économies proposées ne les réduiraient qu'au bout de plusieurs années et avec beaucoup moins de certitude», ajoute l’institut Montaigne. Mais comme le précise Challenges dans une interview de François Ecalle à propos de son étude, le think tank est réputé proche… d’Emmanuel Macron, son directeur Laurent Bigorgne étant un ami et un soutien de longue date du président de la République. Pas certain donc que cet avis négatif freine les ardeurs sociales de LR.