Selon une enquête de France Info publiée le 9 février, l’Hôpital américain de Paris, situé à Neuilly-sur-Seine, a procédé durant le mois de janvier à la vaccination d'une vingtaine de ses «gouverneurs» et «donateurs» au mépris des règles de priorité définies par les autorités de santé.
Les «gouverneurs» ou membres du «Board of governors» sont l’équivalent anglo-saxon des membres du conseil d’administration. Ces personnalités ont été invitées à se faire vacciner dans l’établissement privé franco-américain comme le confirme Bruno Durieux, âgé de 76 ans, gouverneur honoraire de l’Hôpital américain et ancien ministre délégué à la Santé de 1990 à 1992 : «J’ai été appelé pour me faire vacciner à la médecine du travail de l’Hôpital américain le 14 janvier dernier. Je viens de recevoir ma seconde dose début février. Tous les gouverneurs étaient invités à le faire», raconte-t-il.
Or, si la plupart de ces gouverneurs sont âgés, ce n’est pas toujours le cas puisque le millionnaire Arnaud Lagardère, âgé de 59 ans, Helen Lee Bouygues, âgée de 45 ans ou Philippe Villin, banquier d’affaires âgé de 66 ans, siègent également au conseil d’administration de l’établissement.
Selon des sources internes citées par la rédaction de France Info, «d’éminents donateurs et membres âgés de leurs familles ont également été invités à bénéficier des premières injections Pfizer en contradiction apparente avec les règles édictées par la Haute autorité de santé (HAS).»
Le ministre de la Santé Olivier Véran n’acceptera pas ces passe-droits qui semblent pourtant communs
Pour rappel, la stratégie vaccinale du gouvernement est toujours dans sa phase 1. Actuellement, et en plus des professionnels de santé, seules les personnes de plus de 75 ans ou les personnes atteintes de pathologies à haut risque peuvent accéder à la vaccination. La phase 2, qui permettra d’étendre la vaccination aux personnes âgées de 65 à 74 ans, devrait entrer en vigueur à partir de mars 2021.
France Info, qui a contacté l’Hôpital américain de Paris, s’est vu confirmer que «toutes les personnes volontaires et éligibles intervenant dans l’hôpital – médecins, soignants, administratifs, gouverneurs, prestataires de ménage, de sécurité et de restauration, volontaires – ont été vaccinées selon les critères du ministère de la Santé et conformément aux directives des autorités sanitaires». Au nom du secret médical, l'Hôpital américain n’a pas souhaité préciser les identités et âges des «gouverneurs» concernés.
Interrogé sur France Info ce 9 février après ces révélation, Olivier Véran, ministre de la Santé, a assuré qu'il n'accepterait pas de «passe-droits» tout en précisant : «nous protégeons les plus fragiles par ordre de priorité quel que soit l'endroit où on se trouve sur le territoire national et quelle que soit sa condition sociale.»
Des passes-droits fréquents ?
Et ces passe-droits semblent plus communs qu’il n’y paraît à en juger par les propos tenus par des responsables d’établissements de santé. Toujours d'après une source citée par France Info, «durant le premier mois de la vaccination», explique l’un d’entre eux qui souhaite garder l’anonymat, on a immédiatement entendu parler de vaccinations «coupe-files» dans des établissements privés mais aussi dans des centres de vaccination publics pourtant agréés par les autorités sanitaires. Mais c’est très difficile à prouver et comme l’objectif est de vacciner le plus grand nombre de Français, ce comportement, s’il est moralement répréhensible, n’est pas condamnable par la loi.
Des collègues en clinique m’ont évoqué des injections coupe-files pour contourner la pénurie ou l’incertitude d’un rendez-vous
Un syndicaliste de la Fédération santé sociaux de la CFDT Ile-de-France semble lui aussi confirmer cette pratique sous le sceau de l’anonymat : «Dès le début de la campagne nationale de vaccination, des collègues en clinique m’ont évoqué des injections coupe-files pour contourner la pénurie ou l’incertitude d’un rendez-vous dans un centre de vaccination. Une collègue d’une clinique parisienne a vu un médecin, sa femme et ses deux enfants vaccinés de la sorte.»
Toutes ces révélations interviennent dans un contexte de pénurie de vaccins, rencontrée à l’Hôpital américain de Paris comme dans la plupart des centres agréés de vaccination de la région Ile-de-France. Comme le rappelle La Tribune dans un article paru le 28 janvier, l’ARS d’Ile-de-France avait précisé à la fin du mois de janvier que «compte tenu de la situation extrêmement tendue sur les doses de vaccins, et la nécessité de garantir la deuxième injection pour les personnes déjà vaccinées, aucune primo-injection ne serait effectuée dans les établissements de santé la semaine prochaine ».