Le Canard enchaîné et le site Politico ont révélé que le gouvernement français avait fait appel au cabinet de conseil américain McKinsey afin de l'aider à établir sa stratégie de vaccination contre le Covid-19. La collaboration aurait commencé dès décembre 2020. Selon Politico, un membre du cabinet du ministère de la Santé affirme que McKinsey avait aidé à «définir le cadre logistique», à «établir une coordination logistique avec d’autres pays» et à «soutenir la coordination opérationnelle de la force de travail».
Le Canard enchaîné rapporte une scène qui s'est déroulée le 23 décembre : «Ce jour là se tient une visioconférence réunissant le ministre de la Santé, les directeurs des agences régionales de santé (ARS) et les patrons des hôpitaux sélectionnés pour étrenner la campagne de vaccination». Après avoir introduit la réunion, Olivier Véran «passe la parole à un sémillant quadragénaire – dont il ne précise ni le nom ni la fonction – lui laissant le soin de détailler la méthode et l’agenda gouvernemental, les dates de livraison des vaccins, le circuit logistique, etc.». L’intervenant était, selon l'hebdomadaire, «un représentant de la filiale française de McKinsey, un cabinet de consultants américain, qui, en toute discrétion, accompagne la "task force vaccin" du ministère».
Le Canard poursuit en révélant l’identité du conseiller : Maël de Calan. «En 2017, ce conseiller départemental (LR) du Finistère s’était présenté à la présence des Républicains face à Laurent Wauquiez. Proprement rétamé avec 9% des voix, il était parti rebondir dans le privé.» L’homme a aussi été directeur financier de ManRos therapeutics, un laboratoire privé de recherche médicale. En 2017, il se disait être de la «droite ouverte pour réformer avec Macron».
Quid de la transparence ? McKinsey, contacté par Le Canard enchaîné n’a pas souhaité «communiquer sur ce sujet». Le journal rapporte que le ministère confirme le recours à des «conseils externes [et] noie le contenu de leurs missions dans un charabia technocratique». L’un des participants à la réunion du 23 décembre confie au Canard enchaîné : «Laisser ce rôle à McKinsey en dit long sur la faible capacité du ministère de la Santé d’organiser les vaccinations.»
«[Le cabinet McKinsey and Company] travaille avec le ministère dans le cadre de la stratégie vaccinale», a indiqué à l'AFP une source au ministère de la Santé, confirmant des informations du Canard enchaîné et de Politico. «Ce cabinet est rattaché à la task force vaccination du ministère de la Santé, et collabore sur la stratégie et la logistique. Mais ce ne sont pas eux qui élaborent seuls la stratégie», selon la même source, ne donnant pas de précision sur la mission précise de ce cabinet ni sur sa rémunération.
Un aveu de faiblesse, selon une partie de l'opposition
En réaction à ces révélations, plusieurs personnalités politiques (de gauche comme de droite) ont réagi, considérant qu'elles mettaient en lumière une incompétence du gouvernement ou de l'Etat.
Joachim Son-Forget, ancien député LREM (désormais non-inscrit) questionne : «Qu’est ce qu’un junior de Mckinsey, LR perdant recyclé [...] est venu apporter comme compétence de logisticien a l’Etat Français ?». Il ajoute : «Vous êtes associé chez McKinsey, vous êtes plus puissant qu’un ministre d’Etat in fine».
François Asselineau, président du parti UPR, dénonce «l'incapacité pathétique de Macron à être chef d'Etat». Il ironise : «Pourquoi pas demander aussi à McKinsey de diriger la France ?»
«Un état incapable de planifier une stratégie vaccinale et qui ne peut se passer d’un cabinet de conseil», se désole Sergio Coronado-Amish, député EELV des Français établis hors de France. «On dirait un Etat failli mais on parle de notre pays après 3 ans de présidence d’Emmanuel Macron», poursuit-il.
Le député européen du même parti Yannick Jadot considère que «le scandale d’Etat se poursuit sur la vaccination» et que les révélations du Canard enchaîné «complètent le diagnostic gravissime d’un pouvoir à la dérive dans la gestion de la pandémie»!
Olivier Marleix, député d'Eure-et-Loire et vice-président de Les Républicains juge le recours à McKinsey «absolument sidérant». «On a un ministère de la Santé, un ministère de l’Intérieur et un ministère de La Défense armés en gestion de crise... pour peu qu’on sache les mobiliser. Après les ARS hors-sol, un cabinet de conseil US», déclare-t-il également sur Twitter.
Pour Florian Philippot, président du parti Les Patriotes, «les vaccinolâtres ne doivent pas s’en prendre à l’administration française, totalement mise de côté dans cette affaire au profit de l’UE et de cabinets privés (McKinsey)».
Enfin, le sénateur PCF de Seine-Saint-Denis Fabien Gay regrette que «le cabinet McKinsey qui a déjà donné ses précieux conseils pour "moderniser" l’hôpital public, puis sur la stratégie de tests [prenne] la main sur la stratégie de vaccination».
Des cabinets de conseil fréquemment appelés à l'aide
Ce n'est pas la première fois que le gouvernement a recours à des cabinets de conseil privés pour l'assister dans le cadre de la crise de Covid-19. Dans un article publié le 5 juin 2020, le média en ligne BastaMag pointait déjà du doigt le rôle des grands cabinets de conseil dans la gouvernance liée à la pandémie. Le média écrivait, citant un exemple relaté par Mediapart : «L’un des principaux acteurs de la réforme de l’Etat depuis des années, le cabinet McKinsey, a été mobilisé en plein pic épidémique pour aider à mettre en place une task force interministérielle en vue du déploiement de tests sur le territoire français.»
Selon le site Consultor, ces cabinets ont été sollicités depuis le début de la crise de Covid-19 : Boston Consulting Group et Roland Berger auprès des hôpitaux de l’AP-HP, Bain auprès de la Direction générale de la santé autour des tests de dépistage, EY-Parthenon auprès du ministère de l'Economie...
Une stratégie de vaccination critiquée
En plus d'être cogérée par des acteurs privés, la stratégie de vaccination de la France est critiquée pour sa lenteur : l’écart est important avec les pays qui ont commencé à vacciner contre le Covid-19. Quelques milliers de personnes ont été vaccinées dans l’Hexagone, un chiffre bien en dessous d’Israël, de l’Allemagne, des Etats-Unis ou du Royaume-Uni.
«Nous avons fait en France un autre choix, que je revendique, qui est de s'appuyer sur les médecins, les professionnels de santé et de vacciner les personnes âgées en Ehpad, et non pas de les faire se déplacer par exemple», avait déclaré fin décembre le ministre de la Santé Olivier Véran sur France 2, avant de poursuivre : «Ça prend un peu plus de temps au démarrage, ce délai je l'assume, il est même revendiqué.»
Ce 5 janvier, le ministre de la Santé Olivier Véran a défendu sur RTL la stratégie vaccinale du gouvernement : «Le rythme de croisière de la vaccination en France va rejoindre celui de nos voisins dans les prochains jours.»