La ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation Frédérique Vidal a affirmé que la France n'était «pas en retard» en matière de vaccination contre le Covid-19, mais qu'elle attendait d'autres vaccins. Une opinion qui ne semble pas partagée par de nombreux experts, ni par le chef de l'Etat.
Suite à une entrevue accordée à France Culture, Frédérique Vidal a affirmé sur Twitter le 2 janvier que la France «n'est pas en retard» et assuré que le gouvernement avait «fait le choix d’utiliser et de préparer des vaccins dont la diffusion et le partage pourra être plus large que les vaccins actuels».
La ministre faisait probablement référence au vaccin contre le Covid-19 élaboré par le groupe français Sanofi, qui utilise une technologie différente du vaccin à ARN messager de Pfizer/BioNTech actuellement déployé en France. Or, de l'aveu même du groupe, ce vaccin ne devrait pas être disponible avant 2021. Une stratégie qui aurait par ailleurs poussé la France à refuser une offre de plus de 500 millions de doses du vaccin Pfizer/BioNTech à l’Union européenne afin de protéger Sanofi, selon les informations des journaux allemands Der Spiegel et Die Zeit rapportées par nos confrères de Valeurs actuelles.
Quoiqu'il en soit, l'écart se creuse entre la France et les pays qui ont déjà commencé à vacciner contre le Covid-19 : selon Our World in Data, seules 352 personnes auraient été vaccinées en France au 31 décembre, contre plus de 950 000 au Royaume-Uni (944 539 au 27 décembre) ou 72 397 (au 2 janvier) en Italie, deux pays à la population comparable à celle de l'Hexagone.
Près de 11,5 millions de personnes auraient déjà été vaccinées contre le Covid-19 à travers le monde, Israël détenant le record du plus important taux de vaccination comparé à la population (1,09 million de personnes vaccinées pour 8,9 millions d'habitants). L'Etat hébreu est parvenu à vacciner 810 700 personnes en une semaine, entre le 26 décembre et le 2 janvier.
Une lenteur «injustifiée» pour Emmanuel Macron, mais «revendiquée» par Olivier Véran
Lors de ses vœux aux Français le 31 décembre, Emmanuel Macron a affirmé au sujet de la vaccination contre le Covid qu'il ne «laissera[it] pas davantage, pour de mauvaises raisons, une lenteur injustifiée s’installer». Une prise de position publique que le chef de l'Etat répète avec énergie en privé, si l'on en croit le JDD : le président aurait déclaré à ses interlocuteurs que la France était «sur un rythme de promenade en famille, et ce n'est à la hauteur ni du moment, ni des Français [...] Ça doit changer vite et fort et ça va changer vite et fort». Emmanuel Macron serait irrité par une bureaucratie et une technocratie qu'il juge tatillonnes. Ainsi, sur les 100 supercongélateurs nécessaires pour stocker le vaccin Pfizer/BioNTech, une dizaine attendrait toujours leur validation par les services de l'Etat, également selon le JDD. Un ministre important se serait ainsi confié à l'hebdomadaire en déclarant qu'on «présente comme une stratégie ce qui est en réalité une contrainte, on explique qu'on fait exprès d'aller lentement alors qu'on est incapable d'aller vite».
Une colère présidentielle qui serait partagée par Olivier Véran, selon l'entourage du ministre de la Santé. Celui-ci a pourtant assuré le 29 décembre sur France 2 assumer le retard pris par la campagne de vaccination française. «Nous avons fait en France un autre choix, que je revendique, qui est de s'appuyer sur les médecins, les professionnels de santé et de vacciner les personnes âgées en Ehpad, et non pas de les faire se déplacer par exemple», a précisé le ministre avant de poursuivre : «Ca prend un peu plus de temps au démarrage, ce délai je l'assume, il est même revendiqué.»
Une lenteur «difficile à défendre» pour une vaccination «symbolique» ?
En plus de susciter l'irritation des sommets de l'Etat, la lenteur de la campagne de vaccination française provoque de nombreuses critiques d'experts.
Ainsi l'Académie nationale de médecine a regretté le 31 décembre le démarrage «très lent» de la campagne de vaccination contre le Covid-19, jugeant les précautions prises «excessives». L'institution estime que le bilan hexagonal est, à ce jour, «difficile à défendre» en comparaison d'autres pays européens.
Le 30 décembre, le professeur Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale, a qualifié sur France 2 la vaccination qui a commencé fin décembre de «symbolique». «Il n'y avait pas 500 000 doses disponibles à ce moment-là, on était plutôt dans l'ordre de grandeur des quelques milliers de doses», a-t-il jugé, tout en affirmant que «500 000 doses allaient arriver par semaine» au cours du mois de janvier.
Le docteur Laurent Alexandre a quant à lui estimé sur Twitter que «la France a rarement été aussi ridicule» comparée aux autres pays qui ont commencé à vacciner contre le Covid-19, et que le président «va devoir ramer». Plus tard, il a considéré qu'il était «incroyable que le ministère ne connaisse pas le nombre de Français vaccinés», en faisant référence à une absence de données pour le 31 décembre et le 1er janvier. Il a par ailleurs estimé que Frédérique Vidal «justifi[ait] l'injustifiable» et qu'elle aurait «mieux fait de la boucler».
La campagne de vaccination contre le Covid-19 a commencé en France le 27 décembre, en se limitant dans un premier temps aux Ehpad. Le périmètre devrait être élargi à partir de fin février-début mars 2021 aux près de 14 millions de personnes présentant un facteur de risque lié à l’âge ou une pathologie chronique, pour finalement ouvrir la vaccination à l'ensemble de la population à partir du printemps 2021, selon l'Assurance maladie. Le gouvernement français s’est fixé l’objectif de «15 millions de vaccinations à l’horizon de cet été».