«La perspective d'un combattant aux ressources physiques et cognitives transformées par la technologie […] semble de moins en moins éloignée de la réalité», résumait en septembre dernier le chercheur Jean-Christophe Noël dans une note de l'Institut français des relations internationales (Ifri). Mais l'armée française s'interdit les augmentations «invasives» touchant au corps du soldat. Les seules de ce type autorisées, détaille le Comité d'éthique de la défense dans son rapport rendu public le 4 décembre 2020, sont la prise de caféine, d'antipaludéens, les injections de vaccins ou d'antidouleurs en cas de blessure grave.
Pour autant, il est «impératif de ne pas inhiber la recherche sur le soldat augmenté […] afin d'éviter tout risque de décrochage capacitaire de nos armées», estimait le chercheur.
Fin 2019 a été créé par la ministre des Armées, Florence Parly, un Comité d'éthique de la défense chargé de réfléchir à ces enjeux. En ligne de mire, le souci de maintenir la capacité d'action de l'armée tout en préservant ses valeurs, les principes du droit et la dignité humaine.
Dans les faits, l'homme a toujours cherché à augmenter ses capacités, des jumelles pour voir aux armures et boucliers pour se protéger. Recherches et innovations se succèdent pour stimuler les facultés physiques ou cognitives du combattant dans le but de renforcer son efficacité. Autrement dit, en faire un «soldat augmenté».
Plusieurs prototypes d'exosquelettes permettant de porter des charges plus lourdes ont été mis au point dans le monde. Dans certains hélicoptères d'attaque, la direction du canon est asservie à celle du regard du pilote grâce à son casque.
Des opérations de la cornée pour accroître l'acuité visuelle de 20% «semblent avoir déjà été effectuées dans certaines armées étrangères sur des volontaires», relevait même Gérard de Boisboissel du Centre de recherche de l'académie militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan (CREC) lors d'un colloque fin 2019.
«De plus en plus de technologies sortiront l'homme de ses limites naturelles et l'un des enjeux consistera finalement à définir le degré nécessaire de contrôle humain», décrypte-t-on au cabinet de la ministre.
Certaines augmentations invasives pourraient malgré tout être permises à l'avenir dans des conditions strictes de contrôle par le service de santé des armées.
Dans le monde civil, plusieurs milliers de salariés ont accepté en Suède de se faire greffer une puce sous la peau pour faciliter leur accès aux locaux de leur société, selon Gérard de Boisboissel.
Dans le monde militaire, cela pourrait se traduire par une puce permettant au combattant d'être géolocalisé en temps réel et d'éviter, par exemple, les tirs fratricides.
Au cours d'un entretien accordé à l'AFP le 4 décembre, Florence Parly a expliqué «mettre l'innovation au cœur de [son] action» pour que les armées ne passent pas «à côté de ce foisonnement d'innovations qui existe principalement dans la sphère civile». L'agence de presse rappelle ainsi que les moyens consacrés par les armées françaises à l'innovation sont en hausse de près de 20% en trois ans, à 901 millions d'euros en 2021.
Le Comité d'éthique de la défense, «un filet de sécurité»
Elle explique qu'un Comité d'éthique était nécessaire, car «l’innovation et les technologies ouvrent des champs nouveaux qui posent des questions éthiques». «Nous avons des valeurs et nous y tenons», dit-elle. «Je suis absolument opposée à l’idée, par exemple, que le développement de l’intelligence artificielle pourrait conduire à supprimer l’homme de la boucle de décision dans l'engagement d'un système d'armes», précise-t-elle. «Est-ce que pour autant on doit s'interdire de réfléchir et d'être à la pointe de l'innovation en matière d'intelligence artificielle ? Non, évidemment», justifie la ministre. Florence Parly veut donc trouver «un équilibre entre, d'un côté, la volonté ferme de respecter nos valeurs fondamentales et de ne pas pousser nos soldats à les enfreindre ; et de l’autre, la volonté de rester dans la course à l'innovation technologique».
«L'arrivée dans les forces de drones armés a aussi été un déclic pour initier cette réflexion sur le bon usage de l’innovation pour les forces», analyse Florence Parly, qui considère donc que «la meilleure façon de ne pas brider [la] réflexion, c'est de se donner un cadre éthique».
Dans cette veine, elle estime que «ce comité n’est ni un frein, ni un blanc-seing : c'est un filet de sécurité». Pour elle, il ne faut donc «pas craindre l'innovation en raison des applications possibles qu'elle peut avoir». «Il faut avoir un cadre éthique clair auquel tout le monde peut se référer, c’est d'ailleurs une initiative qui intéresse beaucoup de pays», conclut-elle.
Lors du Forum innovation défense le 4 décembre, Florence Parly a ainsi résumé l'ambition : «Nous disons oui à l’armure d’Iron Man et non à l’augmentation et à la mutation génétique de Spiderman.»