La conférence des présidents de l'Assemblée nationale réunie le 11 mai a inscrit à l'ordre du jour du 13 mai à 15h, la «proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet», qui n'avait pu trouver sa place début mars à l'agenda, en plein examen du projet de réforme des retraites. Il s'agit du premier texte sans lien avec le coronavirus au menu depuis le début de l'épidémie en France.
De quoi s'agit-il ?
La proposition de loi de Laetitia Avia (La République en marche), qui avait entamé son parcours parlementaire en avril 2019, doit instaurer l'obligation pour les plateformes et moteurs de recherche de retirer sous 24 heures les contenus «manifestement» illicites, sous peine d'être condamnés à des amendes jusqu'à 1,25 million d'euros.
Au nom de la liberté d'expression, le Sénat dominé par l'opposition de droite s'est opposé à cette mesure phare. Les députés auront néanmoins le dernier mot, la proposition de loi retournant à l'Assemblée en vue de son adoption définitive.
Par ailleurs, les députés ont fixé une «règle spécifique», selon les mots du secrétaire d'Etat au Numérique Cédric O, pour les contenus terroristes ou pédopornographiques, en cas de notification par les autorités publiques : le délai de retrait serait non pas de 24 heures, mais d'une heure.
Une menace pour la liberté d'expression ?
Cette proposition de loi a suscité de nombreuses réserves au cours de son élaboration, notamment du Conseil national du numérique ou de la Quadrature du Net, qui défend les libertés individuelles dans le monde du numérique.
En juillet 2019, La Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), autorité administrative, créée en 1947, méconnue mais pourtant accréditée auprès des Nations Unies, avait émis un avis défavorable à l'égard du texte porté par Laetitia Avia. «Ce texte fait peser une menace disproportionnée sur la liberté d'expression en raison de la procédure envisagée. Celle-ci fait reposer l'appréciation du caractère illicite d'un contenu sur les plateformes, via des algorithmes et des modérateurs peu formés, en lieu et place de l'autorité judiciaire», déplorait alors l’institution.
Lors de son passage à l'Assemblée en ce même mois de juillet 2019, certaines formations de l'opposition s'étaient opposées farouchement à ce texte. Ainsi, les insoumis avaient refusé que «sous prétexte de responsabiliser les plateformes», la proposition de loi «déresponsabilise l’Etat». Les députés du Rassemblement national, dont Marine Le Pen, avaient fait entendre leurs inquiétudes quant à la menace que le texte ferait penser sur les «libertés publiques».
La proposition de la loi a également soulevé des craintes parmi les juristes. Invité sur le plateau de RT France en juillet également, l’avocat au barreau de Paris Thierry Vallat, par exemple, avait estimé que ce texte pouvait «rogner» les libertés fondamentales et notamment la liberté d'expression. S’il estimait que cette loi permettrait de supprimer des contenus en ligne incitant à la haine, il pointait le risque réel que des plateformes tel que Facebook ou Twitter – avec la volonté d'agir sous le principe de précaution – suppriment des publications dont le caractère illicite n'est pas prouvé.
De nouvelles accusations d'anciens collaborateurs de Laetitia Avia, l'accusant de propos homophobes et racistes, révélées par Mediapart ce 12 mai, sont venus s'ajouter à la polémique.
Mécontents du «fonctionnement» de l'Assemblée, les députés PCF boycotteront le débat sur cette loi
Dernier élément du parcours de cette proposition de loi : les députés communistes, dénonçant ce 12 mai un «fonctionnement inacceptable» de l'Assemblée nationale, ont annoncé leur décision de boycotter les débats du lendemain sur la proposition de loi Avia.
«Des engagements ne sont pas tenus : on avait convenu que les seuls textes qui arriveraient en discussion, dans la mesure où l'Assemblée nationale ne fonctionne pas dans son périmètre normal [et] ne peut pas exercer toutes ses prérogatives [...], étaient ceux en lien avec la crise sanitaire», a déclaré le chef de file des élus PCF André Chassaigne, lors d'un point presse en visioconférence. Et d'ajouter : «Ce n'est pas respecté puisqu'un texte sur la haine sur internet arrive mercredi. Nous avons donc pris la décision de ne pas participer à cette discussion [sur un texte] qui n'était pas urgent [...] au regard de l'affaiblissement de nos pouvoirs législatifs».
Le député communiste a souligné que cette décision de «principe» visait à ne pas mettre «la main dans l'engrenage», alors que la présence des députés est limitée à 150 pour raisons sanitaires.