Le Premier ministre Edouard Philippe a évoqué le projet d'application polémique StopCovid lors de son allocution du 28 avril à l'Assemblée nationale : «Compte tenu des incertitudes sur cette application, je serais bien en peine de vous dire si elle marche, et comment elle fonctionnera précisément.» Le dispositif de traçage numérique des patients atteints du Covid, reposant sur la technologie Bluetooth, est en cours d'élaboration par une équipe de chercheurs français. Sur la base du volontariat, il permettrait à l'utilisateur contaminé de prévenir automatiquement les personnes avec qui il a été en contact qu'il est infecté, même de simples passants, chacun restant anonyme.
Tout débat sur cette solution technologique de surveillance de masse est cependant «prématuré», selon le Premier ministre. Son destin est en suspens : le secrétaire d'Etat au numérique Cédric O est actuellement aux prises avec la société Apple pour qu'elle modifie son protocole Bluetooth afin de faire fonctionner l'application française. Le géant américain n'a jusqu'ici jamais accepté de dévier son modus operandi pour des raisons de protection des données, or la viabilité de StopCovid sur iPhone dépend de sa décision.
Le géant Apple sur la route de StopCovid
Un obstacle de taille se dresse effectivement sur la route de StopCovid. Les entreprises Google et Apple travaillent de concert pour proposer une plateforme qui puisse mettre en relation les appareils Android et les iPhones. Jusqu'alors, Apple n'autorisait en effet pas ses téléphones à partager les ondes Bluetooth avec d'autres smartphones. Les deux entreprises ont donc développé un système commun, une architecture pour rendre les applications de traçage de tous les pays optimales. Il fonctionne avec un Bluetooth opérant exceptionnellement en continu, en arrière-plan. Le système qu'ont développé Google et Apple fait en sorte que ces informations ne circulent qu'entre téléphones d'utilisateurs et ne soient pas stockées à l'extérieur.
Apple opposé à un serveur stockant les données : l'Allemagne capitule
Il existe donc une contrepartie : cette plateforme unifiée ne fonctionne pas avec un protocole qui centraliserait les données des malades sur un serveur extérieur contrôlé par les autorités sanitaires. Apple s'oppose au système de stockage centralisé et ce parce que cela contreviendrait à ses exigences de protection des données et de sécurité.
L'Allemagne, le Royaume-Uni et la France étaient en Europe les pays qui tenaient le plus au modèle centralisé sur serveur. Or, Outre-Rhin, le gouvernement a été confronté au refus d'Apple et a finalement battu en retraite, acceptant la solution unifiée des deux géants des technologies, préférable sur le plan de la confidentialité selon eux et qui permettrait de faire fonctionner leur application de manière optimale.
Les modalités de fonctionnement des iPhone ne nous permettent pas de faire tourner correctement l’application sur ces téléphones.
La France, elle, s'obstine. Elle souhaite une application à système centralisé, évoquant des questions de souveraineté. Mais StopCovid ne pourrait fonctionner sur les iPhones que si le Bluetooth pouvait marcher en arrière plan, c'est-à-dire même lorsque l'application est fermée. Ce qu'Apple ne permet pas. «Les modalités de fonctionnement des iPhones ne nous permettent pas de faire tourner correctement l’application sur ces téléphones. C’est pourquoi nous sommes en discussion avec Apple», a révélé le 26 avril Cédric O, le secrétaire d'Etat chargé du Numérique. Une application contestée, qui ne pourrait fonctionner sur des téléphones aussi répandus que des iPhones ? Pour certains développeurs de StopCovid, l'application serait tout de même pertinente.
Selon le patron du groupe informatique Capgemini Paul Hermelin, qui participe au projet français, l'application restera utile, même sans les iPhones. Ils ne représenteraient selon lui que «15%» du parc de smartphones en circulation en France. L'application a un «intérêt manifeste au premier pour cent d'utilisateurs», a-t-il même insisté lors d'une conférence de presse le 28 avril.
Inquiétudes quant à la protection des données personnelles et doutes quant à l'utilité d'une telle application sans l'adoption par une masse critique : StopCovid nourrit de nombreuses craintes. Face à une levée de boucliers de l'opposition, mais aussi l'irruption de voies dissonantes au sein de la majorité, l'application controversée fera bien l'objet d'un débat et d'un vote avant sa mise en œuvre, comme l'a assuré Edouard Philippe ce 28 avril.
L'efficacité de cette application ne cesse d'être remise en question, y compris par les instances spécialisées. La Commission Informatique et Libertés (CNIL) souhaite être consultée lors de «l'élaboration des modalités définitives de mise en œuvre du dispositif.» Mais au-delà, l'organisation estime que l'application StopCovid «ne peut être déployée que si son utilité est suffisamment avérée». Or, la CNIL doute que les autorités nationales disposent d'«éléments suffisants pour avoir l'assurance raisonnable qu'un tel dispositif sera utile à la gestion de la crise». Dans ce contexte, pourquoi s'entêter ? La Belgique a par exemple préféré opter pour un centre d'appels de 2 000 personnes pour suivre les contacts des personnes infectées.
Singapour, qui avait créé son application TraceTogether avant la création de la plateforme unifiée de Google et Apple, a essuyé un échec. Celle-ci ne fonctionnait presque pas sur iPhone, mais également très mal sur les modèles récents d'Android. Une précédent qui ne présage rien de bon pour StopCovid.