En pleine épidémie de Covid-19 et pénuries de matériels médicaux, la stratégie française surprend. L'exécutif et le gouvernement ont tenté, par les discours, de réintégrer l'idée d'un certain protectionnisme et d'une souveraineté française sur quelques secteurs. Or, le parlementaire communiste (PCF) André Chassaigne a déploré le 2 avril que Luxfer, entreprise française de fabrication de bouteilles d'oxygène médical «indispensables aux patients en déficience respiratoire», ne fasse pas l'objet d'une nationalisation.
Dans un communiqué, le président du groupe des députés PCF a ainsi regretté que le ministre de l'Economie Bruno Le Maire ait «répondu par une fin de non-recevoir à notre demande de nationalisation de l’entreprise Luxfer de Gerzat (Puy-de-Dôme)». «La réquisition par l’Etat de l’entreprise Luxfer reste une exigence que nous renouvelons, c’est une priorité de santé publique», écrit André Chassaigne.
L'usine Luxfer à Gerzat (Puy-de-Dôme), avant sa fermeture en 2019, était la seule en Europe à fabriquer des bouteilles à oxygène médical. Elle avait été rachetée au groupe français Péchiney en 2001. Basée à Nottingham en Angleterre, la société Luxfer avait annoncé fin novembre 2018 la fermeture définitive de l'usine auvergnate.
Les salariés reprochent à la direction du groupe anglais de ne pas avoir examiné sérieusement leur projet de reprise, à travers une Scop (société coopérative et participative). Ils estiment par ailleurs que Luxfer n'a pas respecté ses obligations de revitalisation du site et les mesures d'accompagnement prévues dans le cadre du Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).
La députée La France insoumise (LFI) Clémentine Autain a déclaré le 24 mars à l'Assemblée nationale : «les hôpitaux manquent de bouteilles d'oxygène», or Luxfer était la «seule usine qui en fabriquait en France, [et] a été délocalisée en 2018».
La CGT reproche aussi au groupe britannique Luxfer d'avoir créé une pénurie en fermant l'usine de Gerzat, mettant ainsi «en danger la sécurité de l’approvisionnement des systèmes de santé mondiaux». «Nous avons reconnu nos bouteilles sur un reportage montrant le manque de ces équipements en Italie», a expliqué le 19 mars à l'AFP Axel Peronczyk, l'un des anciens salariés et élu CGT de l'usine. Ces bouteilles sont utilisées notamment pour atténuer les symptômes de détresse respiratoire et éviter la réanimation ou lorsque les malades doivent être déplacés, comme dans le cas des transferts de patients depuis Mulhouse, a-t-il précisé.
«A cette heure personne n'est capable d'identifier si le stock actuel de bouteille d'oxygène est suffisant pour faire face à cette pandémie mondiale et la seule usine d’Europe reste pourtant à l'arrêt», a ajouté le représentant syndical dans une pétition lancée début mars. Selon lui, l'usine fabriquait 140 000 bouteilles d'oxygène médical par an.
La nationalisation faisait d'ailleurs plutôt consensus ces dernières semaines entre élus de gauche et de droite. Jean-Luc Mélenchon (LFI), Olivier Faure (PS), Nicolas Dupont-Aignan (DLF) ou Marine Le Pen (RN) sont intervenus pour la réclamer. Le maire PS de Clermont, Olivier Bianchi, et celui de Gerzat, Jean Albisetti (Les Républicains), s'étaient en outre associés fin mars à la députée PS du Puy-de-Dôme Christine Pirès Beaune pour appeler à une intervention de l'Etat au sujet de Luxfer en écrivant au ministre de l'Economie Bruno Le Maire. Selon elle, le délégué interministériel aux restructurations lui a répondu qu'il «étudiait le dossier».
Nationalisations : l'Etat tient-il un discours contradictoire ?
Les élus, comme la centaine de salariés licenciés, avaient plutôt bon espoir après les différentes interventions gouvernementales, dont l'allocution du 12 mars du président de la République Emmanuel Macron : «Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché.» «Déléguer [...] notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d'autres est une folie», ajoutait-il en exigeant que la France reprenne «le contrôle» tout en évoquant par un oxymore le besoin de «souveraineté européenne» avec «des décisions de rupture». Des phrases qui faisaient sans nul doute écho aux pénuries de médicaments et de matériels de santé, la France étant dépendante d'autres pays, comme la Chine.
En ce sens, Bruno Le Maire avait par ailleurs évoqué le 18 mars sur BFM Business la possibilité de nationalisations de «certains fleurons industriels». Malgré la fin de non-recevoir donnée à Luxfer, Bruno Le Maire a réitéré ce 3 avril sur France 24 et RFI l'hypothèse de nationalisations «temporaires». Mais, semble-t-il, Luxfer en est d'ores et déjà exclu.