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Vers des tests massifs contre le coronavirus en France, mais pourquoi ce retard ?

L’arrivée sur le marché hexagonal de nouveaux tests offre enfin une arme clé pour contenir l'épidémie et envisager le déconfinement. Mais pourquoi la France a-t-elle limité le dépistage, quand d'autres pays en ont fait une priorité ?

Lueur dans l’horizon sombre de la pandémie : la France sera bientôt enfin en capacité de pratiquer les tests massifs, arme incontournable pour juguler la propagation du virus. Le Covid-19 se dissémine en grande partie à cause des porteurs sains, qui représentent entre 30 et 60% des gens infectés.

Il y a peu la parcimonie assumée des tests était de mise. «Il faut bien comprendre que les tests sont utiles pour comprendre où circule le virus. Ils deviennent moins indispensables dans les zones de circulation active où c’est la prise en charge sanitaire qui devient centrale», avait assuré le gouvernement, le 10 mars, sur son site d’information consacré au coronavirus, phrases disparues depuis. Il faut surtout bien traduire que la France ne disposait pas à l'époque d'un nombre suffisant de tests. Depuis, la stratégie a changé, mais un peu tard.

«La France a passé une commande pour 5 millions de tests rapides qui […] permettront d’augmenter nos capacités de dépistage de l’ordre de 30 000 tests supplémentaires par jour au mois d’avril, 60 000 au mois de mai et plus de 100 000 par jour au mois de juin», a déclaré le ministre de la Santé Olivier Véran, le 28 mars.  

NG Biotech, l'entreprise bretonne qui crée la surprise

Ces derniers temps, les géants du diagnostic biologique comme le Français Biomérieux, les Américains Thermo Fisher ou Abbott, ont révélé les uns après les autres la création de kits de dépistage, bientôt disponible en masse. En France, c’est une petite entreprise bretonne de Guipry (Ille-et-Vilaine), NG Biotech, qui crée la surprise avec la première réalisation d'un test rapide en France, de type sérologique, appelé le NG-Test® IgG-IgM COVID-19. Il a reçu la validation de plusieurs services hospitaliers dans le cadre d’une campagne d’évaluations cliniques approfondies. Une simple goutte de sang prélevée sur le doigt doit être déposée sur un petit dispositif de plastique. Le résultat se lit comme sur un test de grossesse, apparaissant au bout de quelques minutes. Ce test repère les anticorps du patient qui se défend contre la maladie. Il est destiné à dépister les personnes immunisées qui ont déjà contracté le virus ou qui sont infectées depuis deux à quinze jours minimum, selon les cas, qu’elles présentent des symptômes ou non. Ces kits seront fabriqués en France et livrés au fil des prochaines semaines, pour atteindre six millions d'exemplaires les six prochains mois, selon Milovan Stankov Pugès, PDG et co-fondateur de NG Biotech, interviewé par RT France.

«On sait que tout en bas de la pyramide de l’atteinte virale, on retrouve les porteurs qui ne présentent pas de symptômes et disséminent le virus», explique le docteur Ali Afdjei, médecin urgentiste, du Centre hospitalier de Parly-2 (Yvelinnes), interrogé par RT France.

Il faut le financer et le produire

Le médecin enthousiaste, qui a concouru aux études du test sérologique de NG Biotech, sait qu’il dispose d’une arme révolutionnaire pour affronter la pandémie : «On se bat contre un ennemi invisible, or le combat ne peut être précis si on ne sait pas qui est malade. Or maintenant, nous avons un test, il faut le financer et le produire, afin de servir la population entière. Cela permettra de séparer les personnes porteuses de la maladie des plus vulnérables, et de procéder à un véritable suivi épidémiologique.»

Ces tests rapides, serviront à déterminer le nombre de Français immunisées, qu’ils aient présenté des symptômes ou aient été infectés par le coronavirus sans le savoir. Prescrits par les médecins, ces dépistages sérologiques constitueront un allié crucial pour accompagner le déconfinement. Ils sont complémentaires des tests RT-PCR déjà réalisés dans le monde à base de prélèvements nasaux, qui dépistent la présence du virus et non la réponse immunitaire du patient.

La France à la traîne du dépistage

La production de tests connaît actuellement un bond, permettant à la France de s'approvisionner. Mais certains pays se sont précocement organisés pour être autonomes en tests. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommandait, dès le 16 mars, par la voix de son directeur Tedros Adhanom Ghebreyesus, de tester «tous les cas suspects de Covid-19». En Allemagne, nul ne fut besoin d’attendre des consignes. Dès janvier, des laboratoires avaient pris les devants en développant des tests dès janvier. Il n’a fallu que quelques jours au laboratoire berlinois TIB Molbiol créé par le biochimiste allemand Olfert Landt pour élaborer le sien.

Le 9 janvier, il était prêt et il fut expertisé sur des malades en Chine. Le 17 janvier, l’OMS a publié le kit de ce laboratoire en ligne, puis sept autres  protocoles, pour inciter chaque pays à développer les siens. Depuis, Olfert Landt a vendu plus de 4 millions de ses tests RT-PCR au monde entier. 


Mais de son côté, la France n’a pas suivi la consigne de tests généralisés. La doctrine hexagonale, dite «syndromique», a consisté à réserver les tests aux cas les plus sévères qui pouvaient ainsi être traités ou isolés et aux personnes en contact avec les malades. Seulement 5 000 tests par jour, au mieux, furent pratiqués au début de l’épidémie. Tandis que la Corée du Sud et l’Allemagne (seuls élèves modèles en la matière) ont, dès l'origine de la pandémie, eu recours à la pratique des tests massifs. En conséquence, leurs règles de confinement sont inexistantes ou bien plus souples, pour des taux de contamination plus faibles. Outre-Rhin, les tests sur la population ont débuté dès la fin janvier, alors que la France n’a commencé que le 24 février. En France, au 24 mars 2020, selon la Direction générale de la Santé (DGS), seules 60 000 personnes avaient été testées depuis le début de l’épidémie de Covid-19 en France, contre plus de 300 000 en Corée pour une population moins importante. L’Allemagne quant à elle, pratique plus de 500 000 dépistages du Covid-19 par semaine.  

Outre-Rhin, un simple médecin de ville pouvait prescrire un test RT-PCR, tandis qu’en France, le dépistage n’était autorisé qu’à l’hôpital, avec un résultat obtenu après un ou deux jours. L’autorisation de confier ces tests à des laboratoires, pour augmenter leur nombre, n’a été donnée qu’à partir du 22 mars dans l’Hexagone.

Le manque de confiance accordé aux chercheurs

En l'occurrence, tout comme en Allemagne, plusieurs chercheurs français du secteur public se sont rapidement mis à pied d'œuvre pour le dépistage de ce virus. Alors pourquoi les virologues, chercheurs ou spécialistes en diagnostic, n'ont-ils pas, comme Outre-Rhin, fabriqué leurs tests maisons ?

Selon Maya Cesari, enseignante chercheuse en biologie moléculaire, à l'Université de La Réunion, cette impossibilité tient au fait que les scientifiques travaillent sur ce sujet sans le soutien des autorités de santé. Dans l’île, ses collègues d'un laboratoire de virologie du Centre hospitalier universitaire (CHU) ont élaboré un nouveau dépistage par RT-PCR, testé sur 300 patients, validé ces derniers jours. Techniquement, il ne requiert qu'une heure pour délivrer son résultat.

Le seul kit autorisé aujourd'hui à La Réunion est un kit étranger limité

Or il est en attente d'autorisation par l'Agence régionale de santé (ARS) depuis le 24 mars, au grand dam des chercheurs et médecins. Si l’ARS donnait son autorisation et acceptait le financement, le dispositif des chercheurs de La Réunion permettrait de tester dix fois plus de patients. La chercheuse ne comprend pas que les prises de décision soient aussi longues alors que l'épidémie poursuit sa course tragique dans l’île. «Le dépistage massif et précoce des entrants aurait permis de ne pas basculer dans l'arrêt économique total de l'île, et de protéger la population réunionnaise. Le seul kit autorisé aujourd'hui à La Réunion est un kit étranger limité en nombre qui ne permet pas de tester assez de patients. Si on autorisait les biologistes moléculaires du CNRS ou de l'Inserm à travailler avec les CHU sur ce sujet, ils pourraient développer des tests à grande échelle dans toutes les régions de France», explique Maya Cesari.

Est-ce une conséquence du manque d'encouragement des chercheurs français ? Sur la vingtaine de tests validés pratiqués en France, seuls deux viennent d'industriels français, AAZ, et Biomérieux dans l’Ariège, un leader français du diagnostic. Les autres sont principalement produits en Chine ou en Corée. Des autorisations plus diligentes délivrées aux Français auraient un double intérêt. «Techniquement, la France dispose du savoir-faire. Si on développe des tests, on piochera dans une gamme plus large de réactifs, d'enzymes différentes pour fabriquer les tests. Cela signifie que nous nous affranchirions des problèmes de pénurie de réactifs grâce à la variété des composés commandés, disponibles n’importe où dans le monde», ajoute la scientifique.​

Pénurie généralisée

Car les problèmes d'approvisionnement s'ajoutent à cette inertie. Cette pénurie n'est pas passée inaperçue. Le député socialiste Olivier Faure a déclaré ainsi qu’en France «l’on manqu[ait] de tout» et le sénateur LR Bruno Retailleau pense pour sa part que «la stratégie sanitaire n’obéissait pas aux bonnes pratiques mais que c’est la pénurie qui l’inspirait». La politique du dépistage limité a provoqué l’incompréhension de nombreux citoyens. Une pétition pour bénéficier de tests massifs adressée au Premier ministre Edouard Philippe a recueilli plus de 93 000 signatures en quelques jours.
Le manque de masques, de gels, de lits d’hôpitaux, de respirateurs, ne sont pas les seules pénuries à déplorer dans l’Hexagone. «Les biologistes médicaux se heurtent à une difficulté majeure : le manque de réactifs (ndlr. : les éléments chimiques) pour pouvoir réaliser ces tests, limitant considérablement les capacités de dépistage et la prise en charge des patients en ambulatoire comme à l’hôpital», s’est ainsi plaint le Syndicat des jeunes biologistes médicaux. L’organisation déplore par ailleurs que des laboratoires, qui avaient enfin l’autorisation de tester, ne peuvent plus le faire «par manque de consommables». Ces réactifs pourraient pourtant être produits localement, certains le sont en Allemagne par exemple. Les Etats-Unis, par exemple, peuvent s’appuyer sur leurs fleurons industriels et leurs ressources pour fabriquer des tests à grande échelle.

Les laboratoires vétérinaires ont l'expertise des coronaviroses

La France va désormais pouvoir compter sur les automates, appareils livrant des résultats d'analyses en un temps record. Les laboratoires français ne disposent que d'un nombre limité de ces machines sophistiquées. Alors les laboratoires vétérinaires, qui possèdent l'expertise des coronaviroses sur les animaux, ont proposé, le 28 mars, de mettre à disposition leurs automates et leurs unités de production de réactifs, pour pratiquer des centaines de milliers de tests. Leurs homologues américaines, italiens, belges et allemands ont déjà fait de même. Mais la France a encore une fois marqué sa différence : refus pour motifs juridiques. «Il est très dommage que dans cette crise, les autorités sanitaires françaises n’utilisent pas les compétences du monde vétérinaire sur les pandémies, sur l’approche "populationnelle" et sur sa connaissance des coronavirus qui sont responsables de nombreuses maladies des animaux domestiques et d’élevage», a déploré Jean-Luc Angot, président de l’Académie vétérinaire de France.

Encore une décision bien difficile à comprendre, alors que le pays disposait de bien des atouts pour pratiquer les dépistages plus en amont et probablement épargner de nombreuses vies.