France

Coronavirus : récit d'une quarantaine en Slovénie

Alors que ses vacances en Slovénie touchaient à leur fin, un journaliste de RT France a ressenti des symptômes l'ayant amené à faire un test de dépistage. Un choix à l'origine de nombreux rebondissements, comme il le raconte dans son journal de bord.

A l'occasion de son voyage en terres slovènes, le journaliste de RT France Fabien Rives a vécu une expérience pour le moins raccord avec l'actualité. Ayant ressenti quelques maux de tête et de légères difficultés respiratoires, il a en effet décidé de se faire dépister au Sars-cov-2, le 12 mars, dernier jour de ses vacances, avant son retour en France...

Testé positif dans un premier temps, il n'a eu que de légers symptômes. Toutefois, compte-tenu de la pandémie actuelle, les autorités slovènes ont préféré le garder en quarantaine. Confiné cinq jours dans le centre hospitalier de désinfection de Ljubljana, il a ensuite passé deux journées en isolement dans le nord du pays, dans un chalet destiné à accueillir les étrangers ne pouvant pour l'heure pas rentrer chez eux. Témoin direct de la prise en charge rigoureuse de son cas par le pays où il se trouve, il raconte ses expériences au quotidien dans un journal de bord. Publiées au jour le jour, les notes y figurent dorénavant de façon chronologique.

12 mars 2019

Après un premier arrêt à Ljubjana la semaine passée, suivi d'une escapade de quelques jours dans les montagnes slovènes, il me reste un peu plus de 24 heures pour faire mes adieux à la capitale de ce petit pays d'Europe centrale, avant mon retour en France prévu le lendemain.

Si un ciel dégagé laisse le soleil inonder la ville de ses rayons, l'affluence humaine est loin d'être au rendez-vous. Entre autres explications, le très médiatisé coronavirus a poussé nombre de vacanciers à reporter leur voyage, tantôt par précaution, tantôt sous la contrainte. Trois jours plus tôt, la Slovénie annonçait ainsi la fermeture temporaire de ses frontières avec l'Italie, alors considérée comme l'épicentre du virus en Europe.

Après avoir crapahuté dans le nord du pays, me voici aujourd'hui dans le parc de Tivoli, immense poumon vert de la ville, qui n'a rien à envier au Central Park de New York.

L'esprit empli des souvenirs encore frais de mes récentes balades en montagne, je dégaine de temps à autres mon smartphone et observe la frénésie des actualités liées au Sars-cov-2. Sujet qui, au beau milieu de ma balade, s'avère être source d'anxiété. Ai-je pu personnellement contracter le virus dans l'avion ou durant mon séjour en Slovénie ? Que faire à mon retour pour préserver les personnes vulnérables de mon entourage ? Est-ce que je ressens des symptômes inquiétants à l'instant T ? C'est d'ailleurs cette dernière question qui me préoccupe le plus à présent. Et de fait, je ressens comme une gêne dans la déglutition, qui s'accompagne de légères difficultés respiratoires, état qui me fait immédiatement penser à une petite crise d'angoisse.

Après une séance de méditation improvisée, je décide de me rendre chez un médecin. Mentionné sur le site de l'ambassade et figurant dans les premiers résultats Google, un cabinet médical est ouvert. Sur place, l'accès m'y est toutefois refusé. Devant l'entrée, j'aperçois un membre du personnel à l'intérieur du bâtiment me faire signe d'appeler un numéro.

J'apprends alors que la seule option pour un étranger dans mon cas, sont les urgences hospitalières. J'y suis rapidement pris en charge et peux exposer ma situation à un docteur. Après quelques vérifications de base, c'est le moment d'effectuer un test de dépistage Sars-cov-2. Celui-ci consiste en deux prélèvements, le premier à l'aide d'une tige cotonneuse qu'on vous introduit dans le nez et vous enfonce jusqu'au fond de la gorge, le deuxième à l'aide d'une autre tige par voie buccale.

On m'invite ensuite à rentrer à l'hôtel, m'expliquant que je devrais recevoir un appel dans la nuit en cas de problème...

13 mars 2019

Pas de coup de fil dans la nuit, ni d'appel manqué au petit matin. Au réveil, je suis donc plutôt rassuré sur les résultats du test de la veille et décide de prendre l'air en ville avant mon vol Ljubjana-Paris, prévu pour 17h40. Je laisse pour l'heure ma petite valise roulante à la bagagerie de l'hôtel. Après quelques pas dans le centre, je gravis la colline du château afin de profiter du panorama malgré un ciel plus gris que la veille.

Au retour de cette mini ascension urbaine, je tombe sur le marché de la ville qui, loin d'amasser les foules, voit passer quelques habitants et de rares touristes.

Il est 13h30 quand un numéro slovène s'affiche sur l'écran de mon smartphone. Je décroche. Mon interlocuteur s'exprime directement en anglais, l'air irrité. Il m'explique être policier et me fait confirmer mon identité. J'apprends alors que je suis recherché par la police : «Pourquoi n'êtes vous pas à l'hôpital... Nous avons essayé de vous appeler dans la nuit... N'essayez surtout pas de prendre l'avion ou vous serez arrêté... Vous avez le coronavirus, venez à l'hôpital immédiatement, la police vous attend !»

Soucieux de ne pas envenimer la situation, j'obtempère sans repasser par l'hôtel où se trouve mon bagage.

Au service des urgences, je me présente avec le masque de protection donné la veille et expose la situation. On m'ordonne de ne pas rester dans le hall d'accueil et je suis invité à attendre dans le parking. Quand je questionne mon interlocutrice sur un potentiel malentendu, elle part évoquer mon dossier auprès de l'administration et revient pour me confirmer que j'ai été testé positif au Sars-cov-2 la veille. Elle m'explique à son tour que l'hôpital aurait cherché à me joindre, en vain. Après une demi-heure d'attente, une ambulance arrive pour m'amener au centre de désinfection, non loin de là.

Dorénavant, tous mes interlocuteurs ont une combinaison de protection qui comprend des gants, un masque de vue, un autre pour les voies respiratoires... Pendant qu'un infirmier me prend le pouls dans le véhicule, je passe quelques appels à mes proches en France. Je me fais une raison quant à l'impossibilité de rentrer en France dans la journée. A ma sortie de l'ambulance, on me demande de m'asseoir dans un fauteuil roulant. Une infirmière me trimbale alors, non sans efforts, dans un labyrinthe de couloirs jusqu'à une pièce coupée du corridor par deux portes hermétiques, la deuxième comprenant un énorme hublot de verre.
Il s'agit d'une chambre d'isolement dans laquelle un des deux lits est déjà occupé par un homme slovène qui ne parle pas un mot d'anglais. J'apprendrai plus tard, après lui avoir bricolé une question sur son âge à l'aide d'un traducteur sur mon téléphone, qu'il a 75 ans.
Je ne vois pas le temps défiler en ce premier jour d'isolement, tant les appels à passer sont nombreux : famille, ambassade, assurances, etc. Par ailleurs, les visites du personnel hospitalier s'enchaînent, chacun étant emmitouflé dans une combinaison aux finitions perfectibles. Je pense par exemple au masque de vue qui s'emplit de buée à chaque phrase un peu trop longue prononcée par celui qui le porte.
On m'apporte plusieurs fois dans la journée des récipients en polystyrène contenant du thé et pour le dîner, une soupe consistante.
Certaines infirmières déposent tout sur la table de la chambre, alors que d'autres s'égosillent à travers le hublot pour me demander de prendre les livraisons via l'entrebâillement de la porte. Elles la poussent alors le plus légèrement possible, le strict minimum pour faire passer les objets voulus.
Je demande par deux fois à consulter le document sur lequel figure le résultat de mon test Sars-cov-2, sans résultat.
Concernant les pistes d'évolution de la situation, j'apprends que la directrice de RT France se propose de m'aider dans les démarches de rapatriement, j'ai aussi pris contact avec l'ambassade de France en Slovénie, pour l'heure je comprends le processus consistant à me garder en isolement afin d'éviter tout risque de contagion. Après tout, c'était bien mon initiative de me rendre à l'hôpital pour avoir le cœur net sur mon cas, afin de préserver mes proches.
Une de mes plus grosses préoccupations ce soir est de pouvoir régler à distance une organisation familiale qui contient son petit lot de difficultés... Je peux voir que la nuit est tombée à travers le store, l'heure de cogiter sur une journée aux multiples rebondissements.

14 mars 2020

Il est 7h30 quand deux infirmières débarquent pour un contrôle global de la chambre ainsi que pour les mesures basiques concernant l'état de ses deux occupants : pouls, tension, température... Je vois, a travers son masque, l'air perplexe d'une des deux infirmières quand elle examine mon oreiller dépenaillé, j'en obtiens un nouveau.

Le petit déjeuner est rapidement servi. Il s'agit de deux morceaux de pain cellophanés et quatre tranches de mortadelle. Comme pour le repas de la veille, on m'apporte plusieurs récipients en polystyrène. Ce matin, deux contiennent du thé, un autre du café au lait.

De bon matin, je reçois un appel de l'assurance de ma carte bancaire qui m'explique que dans le contexte épidémique actuel, la prise en charge de mon cas ne rentre pas dans les termes contractuels de mon assurance. La veille, je leur avais exposé ma situation pour une potentielle assistance...

Plus tard, un infirmier entre dans la chambre en faisant rouler un imposant appareil, un scanner. Il me demande de me lever et installe sur mon lit une planche en plastique afin que je m'allonge dessus le temps d'une rapide photographie de la cage thoracique. Cela fait plusieurs fois depuis la veille que je demande à consulter le document qui mentionne mon dépistage positif au Sars-cov-2, en vain. Sachant qu'un des amis avec qui j'ai voyagé la semaine passée m'annonce qu'il vient d'être testé négatif, je nourris l'espoir d'une confusion dans la gestion du dossier me concernant. Peut-être ne suis-je finalement pas porteur du virus, ce qui me permettrait d'engager mon retour en France. Autre demande que j'ai pour l'heure des difficultés à faire aboutir : celle de rapatrier ma petite valisette laissée à la bagagerie de l'hôtel. Elle contient, entre autres, une brosse à dents, un tel objet étant pour l'heure indisponible dans l'aile de l'hôpital où je me trouve.

Le reste de la journée est rythmée par des maux de tête. Mon téléphone vibre à plusieurs reprises dans la soirée, je décroche parfois, mais sans grande énergie. Les contraintes familiales que je ne peux que gérer a distance me tracassent et l'anxiété tente de m'assommer. La fatigue accumulée finit toutefois par l'emporter.

15 mars 2020

Réveillé assez tôt par la lumière du jour à travers les stores, j'ai l'agréable impression d'avoir rechargé mes batteries. Alors que je regarde en diagonale les messages reçus pendant la nuit, l'infirmière apporte le petit déjeuner, identique à celui de la veille.

La journée commence par une bonne nouvelle car j'apprends que certaines incertitudes d'ordre familial et sources d'anxiété sont en cours de résolution. Par ailleurs, après de multiples demandes en ce sens, j'obtiens enfin le document attestant de ma prise en charge par l'hôpital, du fait d'un dépistage positif au Sars-cov-2.

En outre, on m'apporte enfin une brosse à dents après plusieurs réclamations de ma part ! La transmission d'objets à travers l'entrebâillement de la porte est particulièrement amusante quand la taille de la chose est réduite. Je ne peux par exemple pas m'empêcher de sourire sous mon masque en voyant l'entrebâillement de 2 cm auquel l'infirmière en combinaison se limite pour me passer la brosse à dents.

Autre bonne nouvelle de la journée : en faisant appel à une compagnie de taxis de confiance dont le contact m'a été envoyé par l'ambassade, je parviens à mettre en place l'acheminement jusqu'à ma chambre de ma valisette, jusqu'alors restée à la bagagerie de l'hôtel.

Les conversations avec mon compagnon de chambre sont toujours limitées par la barrière de la langue, mais aussi et surtout par l'état de fatigue que traverse visiblement ce Slovène septuagénaire. De temps à autres, ses grasses quintes de toux viennent subitement contraster avec le chant des oiseaux qu'on entend à travers la fenêtre ouverte. Il est parfois amené à cracher une quantité impressionnante de mucosités, notamment quand je décide de manger ma soupe.

Sans rancune, je lui propose plus tard un bout du tableau en chocolat de Ljubljana que j'avais acheté en souvenir mais que j'ai finalement entamé sur place... Il accepte et, malgré l'absence de mots, je crois percevoir un remerciement dans son regard. Au passage, je note qu'il manque à ce pauvre homme l'index de la main droite, celle de gauche étant par ailleurs recouverte d'un bandage au niveau du poignet.

J'entends rarement le son de sa voix a part quelques paroles concises prononcées avec douleur quand il reçoit un appel sur son téléphone.

Le soir, je m'endors moins anxieux que la veille : certains points familiaux sensibles ont évolué ; et de mon côté, les maux de tête se sont faits beaucoup plus rares.

16 mars 2020

Après avoir avalé les quatre tranches de mortadelle et les deux épais morceaux de pain du matin, je passe un peu de temps sur mon téléphone pour consulter et répondre aux messages de soutien de mon entourage.

Je dois avouer ne pas tarir de gratitude envers mon compagnon tactile de 10 cm sur 4 sans qui je me sentirais bien seul. Envoi et réception de messages, prise de notes sur l'écran et autres navigation Internet me sont bien utiles en ces temps de confinement.

Ce matin j'ai le droit à une quintuple prise de sang. Par chance, l'opération est effectuée par une des infirmières qui osent s'aventurer dans la chambre. J'imagine mal faire la prise de sang a travers l'entrebâillement de la porte...

Aujourd'hui, je multiplie les tentatives pour envisager un potentiel rapatriement, histoire d'être en mesure de passer le reste de mon confinement chez moi en France, avant une période indéterminée de complications aux frontières... J'ai par exemple appris ce matin que l'aéroport de Ljubjana fermerait dans la soirée. Entre autres interlocuteurs de la journée, je m'entretiens avec un agent de ma mutuelle qui, contrairement à l'assurance de ma carte Premier où ma demande d'assistance n'était pas comprise dans les termes contractuels, s'engage à prendre en charge mon rapatriement le jour où je ne serai plus contagieux. Pas pour aujourd'hui donc, car mon prochain dépistage au Sars-cov-2 n'aura pas lieu avant quatre jours.

Dans la journée, je tente de communiquer un peu plus avec mon compagnon de chambre à qui je tente de me présenter afin d'en savoir un peu plus sur lui. Je ne parviens que difficilement à lui faire dire son nom et encore... Je crois comprendre quelque chose qui s'approche de «Slavo». Je ne force pas car je sens que chaque mot et chaque geste lui coûtent.

En fin d'après-midi, la doctoresse m'appelle à la porte. C'est la première fois en quatre jours que je parle à quelqu'un qui n'a pas mis son masque. Mon interlocutrice me fait d'ailleurs signe de l'enlever si je le souhaite. A travers le hublot elle m'explique que je serai envoyé le lendemain matin dans le nord du pays, aux environs de Planica, en attendant mon prochain test Sars-cov-2. Il s'agit apparemment d'un endroit où sont envoyés les patients ne présentant pas de symptômes inquiétants. Plus tard, une infirmière peu motivée à franchir le pas de la porte, malgré sa combinaison complète, me demande depuis le hublot de calculer mon pouls et ma température, ainsi que de répéter l'opération pour mon compagnon slovène.

Le soir, je propose à «Slavo» de l'aider pour qu'il mange. Il refuse, je crois qu'il m'explique qu'il préfère dormir. De fait, depuis que je partage sa chambre, j'ai l'impression qu'il jette la plupart de ses repas dans la cuvette des toilettes.​

17 mars 2020

Dans la foulée du petit déjeuner, une doctoresse m'appelle au hublot de la chambre pour me confirmer que, ne présentant pas de symptômes inquiétants, mon transfert dans la vallée de Planica est imminent : des infrastructures viennent d'être organisées pour le confinement de patients étrangers qui ne peuvent pour l'heure pas rentrer chez eux.

L'information m'est ensuite détaillée lors de l'appel d'une employée de l'ambassade de France en Slovénie, chargée de m'en dire plus sur ce nouveau lieu de quarantaine. J'apprends par exemple que je serai le premier patient à arriver dans ce chalet de montagne où plusieurs chambres ont été préparées pour le contexte ; elle me traduit par avance les règles de la maison au cas où celles-ci ne seraient disponibles sur place qu'en slovène, je note par ailleurs quelques numéros utiles en cas d'urgence ; un téléphone portable a été laissé sur place pour recevoir et passer certains appels. J'apprends également qu'après cinq jours de confinement à l'hôpital, je serai désormais en mesure de prendre l'air dans la cour du chalet.

Très honnêtement, malgré l'espoir d'un rapatriement imminent que mes proches et moi nourrissions depuis l'allocution présidentielle de la veille, durant laquelle les Français à l'étranger ont été invités à se rapprocher des institutions de la République pour organiser leur retour au pays, dans le contexte actuel je suis rassuré de savoir mon dossier suivi de près par l'ambassade et je dois dire qu'en ces temps de crise, j'admire la gestion de mon cas par les autorités slovènes.

Apres une dernière douche en milieu hospitalier – même s'il ne me reste qu'une taie d'oreiller en guise de serviette – je fais mes adieux à ma tenue d'hôpital et enfile avec enthousiasme mes habits de ville.

A mi-journée, la très gentille doctoresse revient dans la chambre avec une tige cotonneuse qui réveille en moi un récent souvenir. Elle m'informe devoir effectuer un test de dépistage Sars-cov-2 avant mon départ. J'apprendrai plus tard que celui-ci s'avère une fois de plus positif.

Près d'une heure après le repas, une autre dame vient me chercher pour le départ. Je fais mes adieux à mon compagnon de chambre Slavo et, petite valisette en main, sac sur le dos, je traverse pour la deuxième fois les couloirs de l'hôpital, cette fois en marchant. En sortant du bâtiment, la luminosité me force a plisser les yeux et je sens un sourire naturel se dessiner sur mon visage.

Je monte à bord de l'ambulance qui m'attend. Le véhicule démarre. A travers les vitres, je fais d'abord mes adieux à une capitale aux allures désertes puis j'aperçois rapidement les montagnes aux sommets enneigés, vers lesquelles je me dirige.

Après une heure de route, la même dame venue me chercher à l'hôpital m'ouvre la portière coulissante du véhicule et me montre du doigt le chalet. Les clefs sont sur la porte que je referme derrière moi comme on me le demande. Je me retrouve seul dans cette maison de bois dont je ne tarde pas faire le tour du rez-de-chaussée ainsi que des deux étages au-dessus. Café, céréales, pain ou encore fruits sont disposés sur un des plans de travail de la cuisine. Le frigo aussi a été rempli avant mon arrivée : fromage, lait, œufs, saucissons, etc. Après avoir fait le tour du premier étage, je dépose mon sac dans la chambre N°7 qui m'a été attribuée.

Depuis la fenêtre que j'ouvre avec émerveillement, la vue sur les montagnes est magnifique, l'air est pur.

J'appelle l'ambassade pour décrire mon arrivée, je suis rassuré de savoir mon dossier suivi de près.

La nuit tombée, je reçois un appel sur le téléphone portable laissé dans la salle à manger, comme prévu, en chargement. L'appareil me permet de valider toute livraison ou visite au chalet. Cette fois, l'appel concerne la livraison de mon dîner. Il se trouve en effet devant la porte d'entrée, la boîte qui le contient étant accompagnée d'une gentille note «Bon appétit». Je salue le livreur qui se trouve 10 mètres plus loin. Plus tard dans la soirée, j'aperçois un véhicule garé dans le jardin, phares éteints, moteur coupé. La lueur d'un smartphone s'en dégageant, j'arrive à distinguer un homme assis à la place du conducteur. Après quelques instants de doute, j'appelle la propriétaire des lieux dont le contact m'a été fourni par l'ambassade.

J'apprends qu'il s'agit d'un personnel de sécurité dont la présence est prévue. Je suis une fois de plus rassuré et apprécie la rigueur de la prise en charge de mon cas.

Avant d'aller dormir, je passe quelques appels à mes proches.

18 et 19 mars 2020

Du fait d'une accélération des événements entre le 18 et le 19 mars, ces deux journées consécutives sont regroupées dans cette note.

Tout commence en douceur quand à 8h30, la sonnerie du téléphone retentit à proximité de mon visage. Le Slovène qui se présente au bout du fil m'annonce la livraison du petit-déjeuner. Un plateau a en effet été déposé à l'extérieur, devant la porte d'entrée. Je remercie le livreur qui se trouve à une dizaine de mètres, auprès de sa camionnette. Malgré la distance, le contact est chaleureux.

Le premier rebondissement de taille survient à la mi-journée alors que je reçois un appel de l'hôpital de Ljubljana. Contre toute attente, un docteur m'annonce que le résultat du test Sars-cov-2 que j'ai passé la veille est négatif, contredisant ainsi ce qui m'avait été divulgué lors de mon transfert en ambulance.
On m'indique qu'une patiente doit rejoindre le chalet dans la journée et qu'elle me fera passer le document officiel confirmant cette nouvelle.

Il est donc temps d'entamer les démarches d'organisation de mon retour en France, qui vont se traduire par un véritable marathon téléphonique avec une multitude d'interlocuteurs. Tout d'abord, ma compagnie d'assurances me propose de réserver un aller simple Ljubljana-Paris pour le 21 mars, affirmant qu'une telle option est disponible sur le site d'Air France, malgré les nombreuses annulations de vols. Mais quand je contacte l'ambassade à ce sujet, la consule brise cet espoir, m'expliquant que le vol en question venait d'être annulé. Elle me conseille de chercher des trajets en partance de l'aéroport de Zagreb, avant sa fermeture imminente.

Piste que je m'empresse de suggérer à la compagnie d'assurance, avec laquelle nous trouvons un itinéraire de Zagreb à Paris, moyennant une escale à Amsterdam : prévu le lendemain matin à 8h20, il pourrait s'agir du dernier vol reliant les capitales croate et française avant plusieurs semaines...
Il me faut dorénavant trouver un moyen de traverser la Slovénie et passer la frontière croate dans la nuit pour arriver à l'aéroport de Zagreb au petit matin. Prête à me réserver une nuit d'hôtel dans la zone aéroportuaire de Zagreb, la compagnie d'assurance m'explique cependant ne pas être en mesure de mettre en place une course transfrontalière par taxi. On me fait donc savoir que les frais sont à avancer de mon côté.

Je me résous alors à planifier ce trajet en étroite collaboration avec la consule, dont l'aide m'est précieuse. Elle me rapporte ses fraîches conversations avec son homologue croate ainsi qu'avec la police aux frontières entre les deux pays. J'apprends par exemple que les autorités croates entament la fermeture des frontières dans la nuit et que, sollicitées à mon sujet, elles entendent limiter mon passage sur le territoire à un trajet allant directement à l'aéroport : pas question de me laisser passer la nuit dans un hôtel sur place. Cela veut dire que mon unique chance de franchir la frontière est de le faire dans les heures qui précèdent mon vol.

Ces informations en main, je prends contact avec la compagnie de taxi slovène qui quelques jours plus tôt, avait permis l'acheminement de ma valisette à l'hôpital. Nous convenons d'un chauffeur qui viendra me chercher à 2 heures du matin dans la vallée montagneuse de Planica où je me trouve. Il me fera traverser le pays d'Ouest en Est avant de me déposer à l'aéroport de Zagreb.

Le scénario comprend cependant une incertitude : le chauffeur slovène en question pourrait être refoulé à la frontière. Un tel cas de figure n'effraie pas mon interlocuteur qui m'assure qu'en de telles conditions, il sera facile de faire venir un chauffeur croate pour finir le trajet... Il m'assure qu'entre anciennes provinces yougoslaves, une telle requête s'effectuera sans problème.

Autant d'informations qui se sont frénétiquement accumulées pour l'élaboration d'un plan digne d'une «exfiltration», comme s'en amuse la consule. Pour pimenter le tout, le scénario repose également sur l'obtention de mon document de dépistage négatif, sans lequel tout est compromis. Sans mauvais jeu de mot, c'est donc avec impatience que j'attends la patiente à qui il a été confié... Elle arrive peu avant 21 heures, avec la tant attendue pièce maîtresse du puzzle de mon évasion.

La veille, il m'avait été expliqué que le chalet était destiné aux patients étrangers. Toutefois, la nouvelle arrivante est une trentenaire slovène, à qui je propose immédiatement de faire un tour du propriétaire. Je lui explique par la même occasion le fonctionnement des livraisons et le fait que je partirai dans la nuit.

A 2 heures du matin, je sors du chalet et m'apprête à exposer de vive voix ma situation à l'homme chargé de monter la garde depuis sa voiture garée dans la cour. J'enfile mon masque en l'approchant, il en fait de même en sortant de son véhicule. Comme convenu, il a déjà été prévenu de mon départ, ce qui me facilite la tâche. A mon agréable surprise, loin d'être froid, il se montre très aimable et me salue chaleureusement.

Garée quelques mètres plus loin, j'aperçois une Mercedes noire de laquelle sort un jeune homme blond, à la silhouette allongée. Très accueillant, Jure a 26 ans et il vient de Ljubljana. Il m'explique avoir appelé la police aux frontières pour tenter d'obtenir une réponse claire avant notre arrivée sur place, mais l'incertitude demeure.

Sur la route, je me perds de temps à autres dans mes pensées et m'imagine deux siècles plus tôt, à l'arrière d'une diligence commandée pour un voyage nocturne.

Nous arrivons au passage frontalier. Jure échange trois mots avec l'agent qui lui fait signe de passer. Mais il m'explique qu'il reste le personnel croate à passer. Et de fait, j'aperçois une autre barrière située 100 mètres plus loin. La conversation est toujours en slovène. L'échange est plus long et le ton légèrement plus sévère du côté de l'agent. Une longue minute passe et la situation n'est pas encore réglée, je capte plusieurs allusions à mon sujet : «francosko», «negativno», «aerodromo»...

A l'issue d'une deuxième minute encore plus interminable, la barrière s'ouvre ! Jure me résume la conversation, qui rejoint ce que m'avait annoncé la consule au sujet de la fermeture des frontières croates. En outre, l'agent a demandé à mon chauffeur de ne pas quitter l'aéroport jusqu'à l'heure de départ de mon vol, afin d'être en mesure de me ramener en Slovénie en cas de problème avec la compagnie aérienne.

Arrivés à l'aéroport juste avant son ouverture, nous avons une petite heure pendant laquelle nous échangeons avec Jure sur nos vies respectives, nous évoquons également l'actualité politique alors que le Slovène Janes Jansa a récemment accédé au poste de Premier ministre.

On s'engage à prendre un verre si nos chemins se recroisent, je file pour l'enregistrement de mon vol.

Alors que les annulations de vols se multiplient depuis plusieurs jours, l'aéroport est quasi-désert ce matin. L'avion qui m'amène dans la capitale hollandaise est quant à lui à moitié plein. J'ai assez de place pour m'affaler. La première partie du vol m'offre une vue royale sur les montagnes slovènes dans lesquelles j'ai crapahuté plus tôt dans le mois.

Mon escale à Amsterdam me laisse le temps de commencer à rédiger ces lignes. Au rayon frais d'une boutique de l'aéroport, j'achète de l'anguille et du fromage hollandais en prévision du confinement qui m'attend à Paris. Il est temps d'embarquer pour mon deuxième vol, et d'envoyer ce petit résumé d'un périple improvisé à mes collègues de la rédaction. Dans quelques heures, je serai de retour en France, dont j'ai suivi les actualités ces derniers jours...