France

Professeurs pédophiles «mutés en Outre-mer» selon Ségolène Royal : vers l'ouverture d'une enquête ?

L'ancienne ambassadrice des Pôles, démise de ses fonctions pour des propos contre le gouvernement, a jeté un pavé dans la mare au sujet de la pédophilie dans l'enseignement. Elle est entendue par des députés de l'Outre-mer à l'Assemblée nationale.

«Avant, on mutait discrètement les [professeurs] pédophiles, si possible dans les Outres-mer, comme ça c'était loin, on n'en entendait plus parler» : si ces propos de Ségolène Royal datent d'une interview publiée le 3 janvier 2020 sur BFMTV, l'indignation, elle, ne retombe pas. Prenant très au sérieux les accusations de l'ancienne ministre, Olivier Serva, président de la délégation aux Outre-mer, a décidé de la convier à s'expliquer ce 10 février lors d'une réunion à huis clos à l'Assemblée nationale. Ce que Ségolène Royal a fait.

Lors de son intervention face à Jean-Jacques Bourdin le 3 janvier, Ségolène Royal s'était en effet penchée sur un sujet «tabou», selon elle, à savoir «les premières instructions contre la pédophilie dans le milieu scolaire». Elle avait alors expliqué avoir été chargée de ces instructions, en tant que ministre déléguée à l'Enseignement scolaire auprès du ministre de l'Education dans le gouvernement Jospin de 1997. «La première instruction a dit : "vous avez une obligation de signalement lorsqu’il y a des abus sexuels". Cela a été très difficile. J’ai même subi un certain nombre de menaces. J’ai vu la chape de plomb », affirmait l'ancienne ministre, ajoutant encore : «Quand il y avait des suicides d’enfants, personne n’en parlait et, quand un pédophile était identifié, et qu’il mettait fin à ses jours, là, ça faisait un scandale.»

Possible «scandale d'Etat» ? Des députés demandent une enquête

A la sortie de son audition ce 10 février, Ségolène Royal, dont les propos sont rapportés par l'AFP, a expliqué que lorsqu'elle avait été nommée ministre déléguée à l'Enseignement, elle avait «eu vent de cette rumeur de mutations, pas seulement dans les Outre-mer, mais aussi dans les villages ruraux isolés ou même dans l'administration». L'ex-candidate à la présidentielle a résumé : «Pas vu pas pris vous voyez, la loi du silence régnait et j'ai mis fin à cette loi du silence.»

Elle a expliqué qu'après la mise en place de la circulaire du 26 août 1997 obligeant les adultes du milieu scolaire à «saisir le procureur de la République dès lors qu'ils avaient la révélation par un enfant ou par la famille de cet enfants d'abus sexuels sur lui [...]  les enseignants étaient immédiatement suspendus». «Il y a eu 300 cas qui ont été déclenchés», a-t-elle ajouté, précisant que selon elle, la circulaire a «permis de clarifier les procédures et donc de mettre fin à la rumeur en passant aux actes et aux faits et donc aussi aux condamnations et aux révélations».

Les propos tenus par Ségolène Royal sur BFMTV et RMC avaient suscité l'indignation dans les territoires d'Outre-mer. Le 30 janvier, l'Association des maires de Guyane avait notamment adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron, demandant au président de la République de «rassurer [ses compatriotes] quant aux vérifications judiciaires inhérentes aux professions en contact avec notre jeunesse». Les édiles faisaient en outre part de leur «sentiment d'appartenir à une autre France» et déplorait que leur territoire puisse potentiellement servir «de réceptacle aux déviants sexuels dont l'Hexagone chercherait à se débarrasser».

Le 4 février, le député guyanais Gabriel Serville avait amené le sujet au pupitre de l'Assemblée nationale, d'où il avait dénoncé un possible «scandale d'Etat» et avait fait savoir que les «parents, enfants, et professeurs des Outre-mers» exigeaient «des explications».

Gabriel Serville, de même que le président de la délégation aux Outre-mers de l'Assemblée nationale Olivier Servan, réclament la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire.

«L’Outre-mer ne peut pas être la poubelle de tout ce qui ne marche pas sur le territoire métropolitain»

Interrogé par RT France, Mansour Kamardine, député Les Républicains de Mayotte a réagi à cette polémique. «Ségolène Royal n'a pas été suffisamment bavarde sur la question [donc] nous avons décidé de solliciter une enquête, et la requête est d'ores et déjà sur le bureau de Richard Ferrand, car ses propos [de Ségolène Royal] sont d'une telle gravité...», a-t-il déclaré. Il estime que «l’Outre-mer ne peut pas être la poubelle de tout ce qui ne marche pas sur le territoire métropolitain». 

A propos de Mayotte, il affirme : «Ses propos ont un semblant de vérité parce qu'à Mayotte aussi nous avons connu quelques cas, deux ou trois, des enseignants qui ont été rattrapés par la justice, et je dois vous avouer que les sanctions prononcées par la justice étaient bien en-deçà des blessures subies par la victime». Il appelle toutefois à ne pas «généraliser» même s'il est vrai, selon lui, qu'il y a eu un certain nombre de gens qui ont été mutés à Mayotte «et que la justice a rattrapé sur des questions de pédophilie». Le député LR dénonce «une certaine légèreté dans l'affectation d'enseignants» et demande au gouvernement «d'accepter la mise en place de cette commission d'enquête».

Blanquer tempère

Abordant le sujet le 5 février lors des questions au gouvernement au Sénat, le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer avait jugé qu'il n'y avait «aucun élément probant» dans les propos de Ségolène Royal. «Il ne faut pas accorder de crédit excessif [aux accusations portées par l'ancienne ministre]», estimait-il encore, ajoutant : «J'ai des doutes très fort.» Jean-Michel Blanquer s'était néanmoins déclaré «tout à fait d'accord pour regarder ce qu'il en est».

Les relations entre l'exécutif et Ségolène Royal ne sont pas au beau fixe puisque le 24 janvier, l'ancienne ministre avait officiellement été démise de ses fonctions d'ambassadrice des Pôles, qu'elle occupait depuis septembre 2017. Ce limogeage intervenait après des prises de position à l'encontre du gouvernement.

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