Après avoir «omis» de déclarer au moins 10 mandats rémunérés ou non, dans sa déclaration d'intérêt à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), le maître d'œuvre de la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a démissionné. Parmi ses activités révélées par salves dans plusieurs médias, une fonction d'administrateur à l'Institut de formation de la profession de l'assurance (Ifpass) et un poste au conseil d'administration de la fondation SNCF faisaient peser sur lui le soupçon d'un conflit d'intérêts. Le haut-commissaire à la réforme des retraites a en outre conservé, à son entrée au gouvernement, un poste rémunéré de président d’honneur de Parallaxe, un think tank lié à un groupe privé, ce qu'interdit pourtant la Constitution. En revanche, si la démission de Jean-Paul Delevoye aurait pu constituer l'épilogue de cette saga médiatique, une question demeure : le gouvernement était-il au courant de la situation ?
Une situation «parfaitement connue» ?
Ce 17 décembre au matin, le journal Le Monde affirme que, «selon [ses] informations» le secrétariat général du gouvernement (SGG), rattaché au Premier ministre, était parfaitement informé de la situation de cumul des mandats du haut-commissaire aux retraites et cela dès 2017, bien avant son entrée au gouvernement en septembre 2019. «[La situation professionnelle de Jean-Paul Delevoye] avait fait l’objet d’une décision validée par Matignon, sans qu’il y en ait toutefois de trace écrite», écrit encore le quotidien. Dans un second article publié plus tard en fin d'après-midi, le journal précise : «Jean-Paul Delevoye avait déposé dès le 20 octobre 2017 une première déclaration d’intérêts auprès de la HATVP, en tant que tout nouveau haut-commissaire à la réforme des retraites, nommé en conseil des ministres le 15 septembre. Nous avons pu constater que cette déclaration portait bien mention de son emploi de délégué général auprès du groupe d’enseignement supérieur privé IGS.»
«Ma situation avait été validée en 2017, je n'ai pas pensé qu'il y aurait un problème. J'ai fait preuve d'un excès de confiance», se défend lui-même Jean-Paul Delevoye, interrogé par Le Monde, qui ajoute que sa situation était donc «parfaitement connue».
«Aucun dysfonctionnement», martèle Philippe
Ces révélations ont été au cœur d'un échange tendu à l'hémicycle le 17 décembre dans l'après-midi, lors de la séance de questions au gouvernement. Le député Les Républicains des Alpes-Maritimes Eric Pauget a ainsi interrogé le Premier ministre sur son éventuelle connaissance des différents mandats de Jean-Paul Delevoye, lors de sa prise de fonction en tant que haut-commissaire aux retraites en 2017.
Edouard Phillipe a répondu en martelant qu'il n'y avait eu «aucun dysfonctionnement» à Matignon et en a profité pour «saluer» le fait que Jean-Paul Delevoye ait reconnu son «erreur» et en ait tiré les conséquences en démissionnant.
Le chef du gouvernement a ainsi précisé : «Nous n’étions pas informés de l’ensemble des mandats qu’il occupait puisqu’il devait déclarer ses mandats à la Haute autorité [HATVP] et que la Haute autorité a publié sa déclaration dès qu’elle a eu sa déclaration. Autrement dit : lui connaissait ses obligations ; le gouvernement ne savait pas la situation dans laquelle il se trouvait.»
Edouard Philippe en a profité pour critiquer Le Monde et l'attitude du député : «La mise en cause, par un article de presse erroné, du secrétariat général du gouvernement n’est pas digne. Le secrétariat général du gouvernement a en la matière effectué son travail avec la plus grande rigueur et la plus grande précision.»
La Haute autorité de la transparence de la vie publique (HATVP) doit décider le 18 décembre si elle transmet ou non le dossier Delevoye à la justice. Dans le cas échéant, Jean-Christophe Picard, président de l'association Anticor, expliquait à France info que, «l'omission dans la déclaration d'intérêts [constitue un manquement] passible de 45 000 euros d'amende et de trois ans de prison». Il ajoutait : «Mais il pourrait y avoir d'autres délits, peut-être plus graves.»
Avec le départ de Jean-Paul Delevoye, le gouvernement d'Edouard Philippe est devenu officiellement le plus instable de la Ve République, avec un total de 16 démissions depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron en 2017.
Lire aussi : Franck Allisio, «On est dans un quinquennat qui ressemble à une longue fin de règne»