Afin d’apporter un éclairage différent sur le maintien de l’ordre lors des actes des Gilets jaunes, RT France a rencontré deux policiers de la brigade anti-criminalité et un policier spécialiste du maintien de l’ordre qui ont accepté de témoigner anonymement pour des raisons de confidentialité et de sécurité.
Le secrétaire général du syndicat policier ViGi, Alexandre Langlois et l’ancien commandant de police Jean-Pierre Colombies ont également accepté de répondre à nos questions.
Enfin, Sophie, secouriste medic et étudiante dans la Marne, qui a contribué à sauver la vie d’un policier en plein arrêt cardiaque place de la République à Paris le 23 mars 2019, nous a décrit les blessures les plus graves qu’elle a dû prendre en charge au cours de ces manifestations.
Armement et blessures
Les policiers et gendarmes qui sécurisent les manifestations sont équipés d’armes létales et d’armes non-létales, également qualifiées de « moyens de force intermédiaire ».
Dans l’esprit des policiers interrogés par RT France l’arme létale est toujours présente : le SIG-Sauer 9mm est là, dans son étui, à la ceinture. Les policiers le portent en manifestation, mais ne doivent pas l’utiliser, sauf en cas d’urgence qui mettrait leur vie en danger ou pour protéger une personne, un collègue ou un manifestant, dont l’existence serait menacée. L’un des policiers interrogés nous a rappelé que lesdits moyens intermédiaires permettaient de maintenir les belligérants à distance, comme le veut la doctrine du maintien de l’ordre à la française.
De mémoire médiatique, le 9mm a été brandi à deux reprises au cours de cette crise sociale : le 22 décembre à Paris lorsque des policiers motocyclistes de la Compagnie de sécurisation et d’intervention de Paris ont été débordés par des individus belliqueux et le 11 mai 2019 à Nantes lorsqu’un gendarme a mis en joue un automobiliste qui faisait mine de forcer un barrage.
L’utilisation par les forces de l’ordre de l’armement non-létal a été lui si intense au cours des premiers actes, jusqu’au mois de mars 2019, que les rapports officiels, officieux et les rappels à l’ordre venus de l’ONU, du défenseur des droits et du Conseil de l’Europe ont afflué comme jamais auparavant en France.
Le bâton de défense à poignée latérale, la bombe lacrymogène à main, la grenade GLI-F4, le lanceur de balles de défense à visée holographique EOTech, la grenade de désencerlement et ses 18 petits plots de caoutchouc, le lanceur de grenade lacrymogène Cougar et le lanceur de grenade lacrymogène multicoups font partie de la dotation de force intermédiaire pour les policiers et les gendarmes.
Malgré un usage strictement encadré, ces armes ont occasionné des blessures graves qui ont été répertoriées et abondamment commentées dans la presse, surtout en ce qui concerne les manifestants ayant perdu un œil, une main ou ayant été défigurés.
Les témoignages sans concession ici collectés permettent d’apporter un éclairage différent et de comprendre l’état d’esprit des policiers interrogés. Ces fonctionnaires de police expliquent également en quoi la mission qu’il leur a été demandé de réaliser correspond ou non à la vision qu’ils ont de leur métier.
Quels responsables ?
Qui sera tenu pour responsable des dégradations matérielles et surtout physiques survenues au cours l’année de crise sociale qu’a connue la France depuis novembre 2018 ? Si les manifestants, Gilets jaunes ou pas, continuent de défiler au tribunal correctionnel, quelques policiers voient également leur responsabilité personnelle engagée devant la justice pour des accusations de violences illégitimes.
Au fil des entretiens réalisés par RT France avec des policiers, une critique est souvent revenue : du point de vue du gardien de la paix, le sommet de la chaîne hiérarchique semble se couvrir et ne jamais être inquiété. Pour l’ancien commandant de police, Jean-Pierre Colombies, que nous avons rencontré au cours de ces entretiens croisés, la crise sociale ne fait que s’installer en France et le gouvernement devrait se choisir un autre porte-parole que la répression policière pour y répondre.
Pour le secrétaire général du syndicat ViGi-Police, Alexandre Langlois, le constat est similaire et, à son sens, il vaudrait mieux, parfois, privilégier une approche moins stricte du maintien de l’ordre plutôt que d’envoyer « tout le monde au casse-pipe […] policiers, manifestants et même riverains » en opposant simplement : « “La loi c’est moi”, à partir de son bureau, planqué, place Beauvau. »
Un baqueux (policier d’une brigade anti-criminalité), également interrogé pour cette vidéo, a sobrement pointé la « déconnexion » entre la base et les hautes sphères du ministère de l’Intérieur. Un autre policier, spécialiste du maintien de l’ordre, a quant à lui utilisé l’image d’une pyramide dans laquelle le sommet et la base ne savent pas forcément communiquer de façon efficace.
Tout ce système de chaîne décisionnelle, auquel l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ne s’intéresse pas à en croire nos interlocuteurs, pourrait pourtant constituer une zone inexplorée en matière de responsabilité après que tant de blessures et de casse ont été constatées au cours de cette année exceptionnelle de contestation sociale.
De l’autre côté du bouclier
Les insultes, les projectiles et la haine anti-flic portée en étendard par un nombre de manifestants de plus en plus important donnent matière à réfléchir, même de l’autre côté du bouclier. Les policiers de terrain interrogés veulent croire que cette mentalité n’est partagée que par une minorité de Français et des sondages récents leur ont donné raison. Mais ils admettent également que dans le cadre de leur mission, ils rencontrent principalement la frange de population qui ne les porte pas dans leur cœur.
Un baqueux qui a accepté de témoigner anonymement assure que sa « détermination reste sans faille » et qu’il sait « pourquoi il fait ce travail […] malgré le peu de retours positifs ». Et à écouter la secouriste Sophie, la police jouit d’une bonne image même auprès de certains medics comme elle, qui se voient pourtant confisquer leur matériel ou maltraiter en manifestation. Elle-même a contribué à sauver la vie d’un policier qui faisait une crise cardiaque à Paris lors d’une manifestation… quelques minutes après avoir reçu du gaz lacrymogène en plein visage.
Cette vidéo a pour but de donner la parole à ceux qui ont pour tâche le maintien de l’ordre, de faire découvrir leurs états d’âme, leur demande de reconnaissance, leur dureté, parfois. Les fonctionnaires de police se livrent comme ils sont, sans fard.
On y découvre également que les revendications initiales des Gilets jaunes sont tout à fait bien reçues par la totalité de ces policiers interrogés par RT France, mais qu’au fil des actes des Gilets jaunes, des dégradations dues aux casseurs et des confrontations avec les forces de sécurité intérieure, la perception du mouvement par certains fonctionnaires a évolué. Le marqueur symbolique des déprédations subies par le musée de l’Arc de Triomphe en décembre 2018 reste gravé dans l’esprit de ces défenseurs d’une police républicaine comme un tournant.
Journaliste : Antoine Boitel
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