France

Un programme judiciaire de déradicalisation testé en Alsace

Le tribunal de Mulhouse va lancer un programme dit de «déradicalisation» visant des personnes poursuivies spécifiquement pour des infractions liées à l'Islam radical. L'occasion pour RT France de mettre en perspective ce phénomène.

Comment déconstruire dans la tête de certains prévenus le discours extrêmiste? C'est là toute la problématique à laquelle le Tribunal de Grande Instance a voulu répondre.

Ce programme judiciaire de déradicalisation sera destiné spécifiquement aux personnes poursuivies pour des infractions en lien avec l'islam radical. Seuls seront exclues les personnes ayant commis des actes terroristes. Ceux-ci sont en effet traités par la section antiterroriste du Parquet de Paris. 

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Un dispositif spécifique sera mis à la disposition des magistrats à différents stades de la procédure. D'abord, il pourra être ordonné comme alternative à une poursuite, si les faits reprochés sont relativement minimes. Ensuite, il pourra être utilisé en complément d'un contrôle judiciare ou d'une liberté surveillée. Enfin, il pourra être décidé comme peine principal ou complémentaire au moment du jugement. Les mineurs pourront également en bénéficier. 

Plusieurs infractions, délits ou crimes entrent dans ce dispositif: provocation à la haine, apologie du terrorisme ou encore soustraction d'enfant.

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Si la radicalisation islamiste est visée par ce programme, il ne sera pas pour autant fait appel à des imams. L'approche suivie sera celle d'une équipe pluridisciplinaire composée entre autres de psychologues ou travailleurs sociaux. Quatre phases distinctes ont été définies qui constitueront autant d'étapes pour le stage suivi par le prévenu:  le diagnostic, rétablir le lien social, contrer le discours radical, favoriser la réinsertion. 

Ces stages ont été mis en place avec le soutien du ministère de la Justice. Lancé en Alsace, ce dispositif pourrait s'étendre au reste de la région en cas de réussite.

La radicalisation, un phénomène complexe et protéiforme

Interrogée par RT France, Ouisa Kies, sociologue et chef de projet à la direction de l’administration pénitentiaire pour la «détection et prise en charge des détenus radicalisés», cette idée n'est pas mauvaise en soi, même si le mot même de «déradicalisation» peut paraître selon elle «stigmatisant»: «D'abord, qu'entend-on par déradicalisation? La dérive radicale a plusieurs visages. Par exemple, je ne parle pas de djihadisme mais de radicaux islamistes, comme je parle de radicaux basques pour l'ETA, ou de radicaux corses ou de radicaux d'Action directe».

Elle souligne également que la prison n'est pas forcément le principal lieu de radicalisation. Les lieux habituels de socialisations, famille, sport, des loisirs aussi banals que les jeux vidéos peuvent constituer, selon Ouisa Kies, autant de tremplins vers cette radicalisation: «Nous avons pu rencontrer des jeunes, des geek amateurs de jeux vidéos par exemple, qui étaient devenus addicts aux vidéos de scènes de décapitation filmées en Syrie et trouvées sur le net» analyse-t-elle.

De plus, la sociologue se veut nuancée quant à l'approche choisie par le TGI de Mulhouse qui adopte une position qui compare la dérive radicale  à un processus sectaire: «Je pense qu'on utilise le terme secte pour ne pas parler directement de l'Islam. Mais les mots sont importants» remarque-t-elle. 

La sociologue avait mené de son côté pendant deux ans et dans cinq prisons de France des ateliers « recherche-action » pour aider des prisonniers aux profils très divers à sortir de la radicalisation. Ces stages de citoyenneté avaient justement pour but «de trouver une alternative à la violence. Ces radicalisés ont des discours qu'on peut entendre mais avec pour condition préalable et non négociable l'exclusion de la violence. Ce qu'ils pensent est recevable, c'est juste dans la manière de faire qu'ils ne le sont pas».

Il y a une augmentation de cas psychiatriques qui à défaut d'être en institut, se retrouvent en prison pour radicalisation

Cependant l'emprise mentale lui semble être une constante de la radicalisation, quelle qu'elle soit: «On peut vraiment parler d'emprise mentale. On ne peut être que frappé par le nombre de personnes fragiles psychologiquement qui entrent en radicalisation. Il y a une augmentation de cas psychiatriques qui à défaut d'être en institut, se retrouvent en prison pour radicalisation. Du fait de cette fragilité psychologique, ils sont très influencés par des leaders charismatiques». 

La sociologue pointe plusieurs constantes dans le profil des personnes radicalisées: Tous ont pour point commun «la volonté d'imposer par la force une idéologie». Tous souligne-t-elle également sont d'une extrême jeunesse: «Ils ne viennent pas tous des banlieues ou de quartiers défavorisés. Mais tous sont jeunes et tous sont en quête de sens et de projection. Ce qui manque justement aux jeunes, c'est l'engagement. Ce sont des jeunes qui ne s'engagent nulle part, ni en politique, ni au niveau associatif. Ils ne croient plus en rien et la radicalisation devient pour eux la seule et unique réponse à de nombreuses questions»» explique-t-elle à RT France

Quoi qu'il en soit, Ouisa Kies pointe aussi un point à ne pas négliger: «Plus on parle de radicalisation, plus on donne aussi l'envie et la méthode à d'autres de passer à l'acte».