France

Tuerie à Paris: après la saisine du parquet antiterroriste, la communication de l'exécutif interroge

Alors que le parquet antiterroriste s'est saisi de l'enquête sur la tuerie à la préfecture de police de Paris, la communication gouvernementale interroge : des éléments sur la radicalisation de l'assaillant étaient déjà relayés dans la presse.

Après l'attaque qui a fait quatre morts dans les locaux de la préfecture de police de Paris le 3 octobre, le parquet national antiterroriste (PNAT) s'est saisi ce 4 octobre de l'enquête. Diligentée jusqu'alors par le parquet de Paris, elle a été reprise sous les qualifications d'«assassinat et tentative d'assassinat sur personne dépositaire de l'autorité publique en relation avec une entreprise terroriste», ainsi que pour «association de malfaiteurs terroriste criminelle», a précisé le PNAT.

L'attaque, qui a eu lieu le 3 octobre dans l’enceinte de la préfecture de police de Paris située sur l’île de la Cité, a entraîné la mort de trois policiers et un agent de la préfecture dont une femme. D'autres ont été blessés.

L'auteur de l'agression meurtrière, nommé Mickaël Harpon, tué lui aussi à l'issue de ses actes, était un agent administratif de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) et était sourd et muet. La saisine de son matériel informatique a pu jouer un rôle dans la mise en branle du parquet national antiterroriste.

Terrorisme islamisme, coup de folie ? En tout état de cause, concernant le profil et les motivations potentielles de l'auteur des faits, les appels à la prudence se sont multipliés du côté des autorités : les services de la préfecture ont en effet mis en garde contre «les rumeurs» dès 14h le 3 octobre et la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, au micro de France Info ce 4 octobre, a qualifié de «fake news qui ont circulé sur les réseaux sociaux» les informations sur la radicalisation éventuelle de l'assaillant de la préfecture, tout en admettant que l'hypothèse djihadiste n'était «évidemment pas écartée».

Mais ces avertissements brandis par le gouvernement et assortis d'une allusion à la loi sur les fausses nouvelles n'ont pas empêché certaines informations de fuiter dès les premières heures de l'attaque... dont bon nombre se sont avérées exactes, tandis que d'autres seraient effectivement fausses. Une troisième catégorie d'informations restent pour le moment en suspens, prisonnières d'une zone grise médiatique.

L'assaillant a-t-il crié «Allah akbar» en pleine nuit ?

Selon les informations du journal Le Figaro, un habitant, qui vit dans l'immeuble du tueur, Mickaël Harpon, à Gonesse dans le Val d'Oise, assure que, «dans la nuit qui a précédé l’équipée meurtrière, le tueur a crié "Allah akbar !" à deux reprises vers 3-4h du matin.» Selon cette source, le cri venait de l'appartement de l'assaillant.

Le Figaro fait également savoir que selon des voisins, Mickaël Harpon était converti à l’islam «depuis plus longtemps que 18 mois [...] en tout cas qu’il pratiquait depuis longtemps», et fréquentait la mosquée de la Fauconnière, à Gonesse. Un autre voisin, interrogé par le journal libéral, affirme qu'il voyait «Mickaël Harpon le matin très tôt en djellaba se rendre à la mosquée pour prier, accompagné de deux autres personnes.»

Concernant les données biographiques de Mickaël Harpon, 45 ans, né à Fort-de-France, il a été communiqué par les autorités qu'il était affecté au service technique de la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) où il travaillait depuis 2003 et qu'il était malentendant. Sa conversion récente à l'islam, qui remonterait à 18 mois, selon la version la plus couramment évoquée, n'est cependant «pas un signe automatique de radicalisation», a souhaité précisé Sibeth Ndiaye sur France Info. 

Le Parisien, qui a interrogé des collègues de l'assaillant à la DRPP, décrit un employé sans histoires et solitaire : «Il était très fermé, comme un geek peut l'être. Il fallait se placer devant lui et articuler pour qu'il comprenne. En revanche, il s'exprimait comme vous et moi. [...] Tout le monde est surpris. C'est un homme sans histoire, il ne s'est jamais montré violent.»

L'homme laisse derrière lui deux enfants de neuf et trois ans. Son épouse et son frère se seraient spontanément présentés à la police dès qu'ils auraient eu connaissance des faits.

Selon l'épouse, en garde à vue, il aurait «entendu des voix»

Selon les informations de BFMTV ce 4 octobre, l'épouse de Mickaël Harpon aurait, au cours de sa garde à vue, affirmé que son mari avait «entendu des voix» dans la nuit précédant le drame et se serait «réveillé brutalement» dans un état d'incohérence. La chaîne d'actualité précise que la femme est malentendante, comme son mari et que se faisant «aider d'un interprète en langue des signes» devant les enquêteurs, son audition était «compliquée». Selon le magazine conservateur Valeurs actuelles, l'épouse aurait évoqué une «crise de démence» dont son mari aurait été victime.

Lors d'un point presse à la préfecture de police le 3 octobre, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a pour sa part expliqué que l'employé de la préfecture «n'avait jamais présenté de difficultés comportementales [ni] le moindre signe d'alerte». Une affirmation qui contredit des informations de source policière émanant de la DRPP, où travaillait justement Mickaël Harpon, et qui affirmaient que l'assaillant devait rencontrer sa chef de service qui s'inquiétait d'un changement dans son attitude, notamment parce qu'il refusait de saluer ses collègues féminines. Cette même source affirmait que la supérieure hiérarchique en question aurait été la première victime. Une information qu'il faudrait donc reléguer au rang de la rumeur, ainsi que l'a affirmé un journaliste de l'hebdomadaire, Le Point

Cependant, l'épouse de l'assaillant a reconnu devant les enquêteurs de la brigade criminelle, selon l'AFP, qu'il avait fait montre d'un «comportement inhabituel et agité» dès la veille de son passage à l'acte.

Pour ce qui est de la description des faits, des questions demeurent également sur l'arme utilisée par le tueur : dès les premières heures, sur place, des sources évoquaient un couteau de cuisine de 30cm en céramique. Une matière qui pourrait évoquer une préméditation de l'acte, dans la mesure où la céramique n'aurait pas déclenché un signal d'alarme au niveau des portiques de sécurité. Cette information a notamment été reprise par le journal Le Parisien qui précise que «l'enquête se dirige vers un "acte prémédité"» et que Harpon n'a pas trouvé l'arme sur place «mais l'a apportée au sein de la préfecture de police.»

Les autorités verrouillent-elles les informations ?

Il a été établi en tout état de cause que les faits se sont déroulés entre 12h30 et 13h le 3 octobre dans des bureaux situés au premier étage du bâtiment à l'angle sud-est, puis dans un escalier avant de finir dans la cour où un jeune policier (affecté à la préfecture seulement six jours auparavant, selon une déclaration du préfet Lallement) a abattu Mickaël Harpon à l'aide d'un fusil d'assaut HK-G 36 après une première sommation.

Elément inquiétant toutefois : le service de la DRPP auquel était rattaché Mickaël Harpon, anciennement connu sous l'appellation de «renseignements généraux», a notamment pour mission le recueil du renseignement sur la radicalisation djihadiste. La gêne des autorités autour de la radicalisation islamiste potentielle de l'assaillant pourrait aussi s'expliquer à cet égard. On peut cependant s'interroger sur l'efficacité d'une communication de crise a minima de la part des autorités après un drame si choquant en plein cœur de Paris à une époque marquée par la prédominance des réseaux sociaux et par la disponibilité des informations sur Internet. Il était par exemple assez aisé, jusque dans la soirée du 3 octobre, de trouver des informations sur Mickaël Harpon, notamment sa fiche sur le site de la préfecture de police de Paris (depuis inaccessible) et un compte Facebook sous forme d'anagramme.

Quoi qu'il en soit, selon une source policière contactée par RT France, la garde à vue de l'épouse de Mickaël Harpon aurait été reconduite le 4 octobre. Selon cette même source, il pourrait s'agir, pour les enquêteurs, d'éviter que cette dernière n'entre en contact avec les médias... Mais pour le moment, cette information n'a pas été confirmée par une source officielle.

Antoine Boitel

Lire aussi : Quatre policiers décédés lors de l'attaque à la préfecture de police de Paris, l'assaillant abattu