Une proposition «bien loin du compte». C'est ainsi que le principal syndicat européen, Copa-Cogeca, a qualifié la décision bruxelloise de débloquer 500 millions d'euros pour venir en aide aux producteurs de lait. Excédés par des quotas qui les empêchent de rentabiliser leurs productions, d'après les représentants syndicaux, les exploitants ont manifesté ce lundi 7 septembre à Bruxelles. C'est au terme d'une journée qui a rassemblé près de 7 000 agriculteurs et jusqu'à 2 000 tracteurs en provenance de toute l'Europe, que la Commission a annoncé sa mesure.
La somme, qui doit être répartie entre «tous les Etats membres sous forme d'enveloppes pour soutenir le secteur laitier», d'après l'exécutif bruxellois, doit permettre aux agriculteurs de stabiliser les marchés et de s'attaquer au fonctionnement de la chaîne de production. Aucune précision n'a cependant été donnée concernant la répartition de cette somme entre les différents Etats membres, ce qui a poussé le ministre français de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, à dénoncer les «insuffisances de précisions de la Commission européenne sur les mesures et les financements».
Plus que jamais en colère, après ce qu'ils considèrent comme un «effet d'annonce», les intéressés ont quitté la capitale belge en s'estimant lésés. «Je considère qu'il y a une forme de mépris» avait réagi Xavier Beulin, président de la FNSEA. RT a pu parler en exclusivité à Véronique Le Floc'h, présidente de l'Organisation des Producteurs de Lait (OPL). De retour de Bruxelles, la productrice a partagé son opinion sur la décision de la Commission.
RT : Qu'est-ce que la somme de 500 millions d'euros représente pour le secteur laitier ?
Véronique Le Floc'h : Cette somme, c'est une goutte d'eau. Surtout parce qu'elle va être répartie entre l'ensemble des productions d'Europe. Même si elle est majoritairement dédiée à la production laitière, un rapide calcul permet de se rendre compte que cela représente 1 euro pour 1 000 litres de lait. Si vous prenez une exploitation comme la nôtre, qui produit 630 000 litres de lait par an, ça revient à 630 euros. En plus, nous n'étions pas venus chercher de l'argent, mais des outils pour nous permettre de résister sur le long terme. On nous donne l'aumône.
Franchement, on se fout de nous. On trouve les milliards qu'il faut pour le Grèce, mais si l'agriculture n'est plus importante pour l'Europe, qu'on nous le dise et arrêtons tous !
RT : Selon vous, pourquoi la Commission a-t-elle débloqué cette somme ?
Véronique Le Floc'h : C'est un effet d'annonce. Dire 500 millions, ça paraît énorme, mais ce n'est rien du tout. À la Commission, ils veulent la régulation, comme nous, mais ils veulent qu'elle se fasse naturellement, par l'élimination des producteurs les uns après les autres.
On a comme commissaire européen à l'Agriculture Phil Hogan, un Irlandais ultra-libéral. Les producteurs irlandais souffrent moins que les autres parce que leur système leur permet d'avoir des coûts de production inférieurs au reste de l'Europe. Mais partout ailleurs, nos coûts de production sont similaires et élevés et on est en train de se mettre en concurrence, alors qu'on est dans le même bateau. On était d'ailleurs là pour le montrer lors de la manifestation.
RT : Cette décision de la Commission remet-elle en question l'efficacité de la PAC ?
Véronique Le Floc'h : La PAC est à revoir en profondeur, il faut qu'elle se réoriente vers une préférence communautaire, qu'elle revienne à ses éléments fondamentaux, écrits dans le Traité de Lisbonne. Elle est faite pour permettre aux agriculteurs d'avoir des revenus au moins équivalents à leur coût de production et aux autres secteurs d'activité. Elle s'est complètement éloignée de ses objectifs initiaux.
La PAC a été re-nationalisée et chacun a pu décider des orientations. Résultat : il y a de grosses disparités en Europe, par exemple, en terme de modernisation des élevages, prévue dans le deuxième pilier. En Allemagne, des projets entiers ont été subventionnés à 50%. En France, le dernier plan de modernisation d'élevage stipulait 20 000€ par exploitation. Ça s'est amélioré depuis mais c'est trop tard : on n'investira pas si on n'a ni argent, ni garanties sur le long terme.
RT : Quels étaient vos objectifs, lors de la manifestation du lundi 7 septembre ?
Véronique Le Floc'h : Notre objectif, c'était d'obtenir la régulation. On est venu avec l'OPL pour insister sur la mise en place rapide de notre programme de responsabilisation des marchés. C'est un programme qui vise à réduire la production, étant donné qu'on est en surplus, et à rééquilibrer l'offre et la demande. C'est un système qui ne coûtera rien aux contribuables puisque ceux qui produisent trop paieraient un malus qui permettrait à ceux qui produisent moins de disposer d'un bonus.
Les Etats membres qui ont dépassé les quotas : la Belgique, l'Irlande, l'Allemagne ou les Pays-Bas, ont déjà fourni une enveloppe de 900 millions d'euros de super-prélèvements pour aider à réduire la production.
RT : Puisque ces objectifs n'ont pas été atteints, quels sont les prochaines étapes ?
Véronique Le Floc'h : La prochaine étape, c'est la coordination du staff, le 15 septembre. Il faut mobiliser tous les intervenants pour discuter ensemble. On espère que Bruxelles trouvera une solution mais s'il le faut, on y retournera. On ne sera peut-être pas aussi nombreux, mais sans doute plus efficaces car là, les producteurs n'en peuvent plus.
On a beaucoup de moyens de pression et pas mal de dossiers sur lesquels on a travaillé. Il faudra que les politiques regardent dans les dossiers car ce sont eux qui ont laissé la main aux industriels. Même le ministre français de l'Agriculture le dit. Il faudra que la rentabilité et la répartition des marges se fassent autrement, et on dénoncera toute cette mafia.