Des jeunes qui se baladent dans les rues de Paris, un t-shirt à l’effigie de Jacques Chirac, clope au bec, sur le dos. L'unique président français de la Ve République qui peut se targuer d'un tel honneur. C’est l’image qu’une jeunesse qui n’a, pour sa majorité, que peu connu la France chiraquienne, lui a donné. Jacques Chirac c’est le premier maire de Paris depuis Jules Ferry. C’est l’homme du terroir, l’ami des paysans. Ce sont des relations tumultueuses avec les Etats-Unis. C'est aussi sa rivalité avec Nicolas Sarkozy et les affaires. Retour sur l'homme d'Etat qui a marqué l'histoire de la France.
Une ascension au milieu du gaullisme
Jacques Chirac voit le jour le 29 novembre 1932 dans la ville qu’il marquera de son empreinte, Paris. Fils d’un homme d’affaires, petit-fils de franc-maçon, le futur président vient d’une famille originaire de Corrèze. Il suit un parcours plutôt classique pour qui a des ambitions politiques. Lycée Carnot puis Louis le Grand et enfin Science-Po. Bien éloigné des positions gaullistes qui deviendront les siennes, il est proche du Parti communiste et vend le journal L’Humanité. C’est à cette époque qu’il rencontre Bernadette. Celle qui est née Chodron de Courcel est issue d’une grande famille française qui aura donné plusieurs militaires, diplomates et industriels de renom.
Jacques Chirac termine ses études en passant par l’ENA. Il commence son service militaire en 1956 avant de s’engager en Algérie durant la guerre. Il en revient lieutenant. C’est à cette époque qu’il se rapproche du gaullisme, alors que le général s’apprête à prendre la tête du pays. Après une brève carrière de haut fonctionnaire, le jeune Jacques gagne sa première élection. Il siège au conseil municipal de Sainte-Féréole, sur ses terres, en Corrèze.
Suit une ascension fulgurante dans les arcanes du pouvoir. En 1967, il est le plus jeune ministre du gouvernement sous la présidence de De Gaulle, occupant le poste de secrétaire d’Etat à l’Emploi. Il n’a que trente-quatre ans. Il occupe plusieurs portefeuilles ministériels (Agriculture, Intérieur, Budget) jusqu’à devenir le Premier ministre du nouveau président, Valéry Giscard d’Estaing. Il reste locataire de Matignon de 1974 à 1976 avant de démissionner. Cette période est marquée par la rivalité qui l’oppose au président et les difficultés qu’il éprouve au sein de son propre camp. Certains contestant sa légitimité et lui reprochant sa trop grande proximité avec l’Elysée à l’heure où une majorité de gaullistes s’opposent aux réformes sociétales entreprises par Giscard d’Estaing (avortement, majorité à 18 ans, divorce).
En route pour le pouvoir
En 1976, Jacques Chirac décide de faire table rase du passé et de se doter de son propre appareil politique de combat. Il crée le Rassemblement pour la République, (RPR) qui deviendra le principal parti de droite jusqu’à sa dissolution en 2002 et son remplacement par l’UMP. Ne se gênant pas pour critiquer le pouvoir en place, il se présente, en 1977, afin de ravir le fauteuil de maire de Paris. C’est en 1975 que le Parlement a voté le changement de statut de la ville. Privé de maire depuis plus d’un siècle et gérée par l’Etat, la capitale retrouvera un édile. Pour l’anecdote, Jacques Chirac s’était opposé à cette décision…
Il remporte une bataille acharnée pour le contrôle de la Ville Lumière et inflige un camouflet au président Giscard d’Estaing et à son candidat Michel d’Ornano.
Durant ses dix-huit ans dans le fauteuil de maire, Jacques Chirac transforme Paris. Il fait construire de nouvelles voies de circulation, lance une vaste opération propreté (les motocrottes, c’est lui), réindustrialise des quartiers de la ville et fait sortir de terre crèches, bibliothèques, écoles et espaces verts. Ses adversaires socialistes l’accuseront «d'embourgeoiser» la ville et de ne rien faire pour lutter contre la hausse des loyers et le manque de logements sociaux.
Maintenant qu’il possède son propre parti et dirige la capitale, il peut entrevoir un retour au plus haut plan politique. Après un premier échec dans la course à l’Elysée en 1981, il remporte un grand succès aux législatives de mars 1986. François Mitterrand est obligé de céder à la cohabitation et nomme Jacques Chirac Premier ministre. Cette période lui sert à remodeler son RPR et à s’afficher à de nombreuses reprises dans les médias. Il prépare le terrain pour la présidentielle de 1988. Jacques Chirac tente de donner l’impression aux Français d’être le véritable patron du pays. Cependant, le président socialiste est un adversaire de taille. Le locataire de l’Elysée n’hésite pas à critiquer ouvertement son chef du gouvernement et prend une posture dominante. De par sa communication, il se place en premier personnage de l’Etat, gérant les Affaires étrangères et les questions militaires. Il se veut une figure trônant au dessus de son Premier ministre. Cette situation trouve son paroxysme lors du célèbre débat entre les deux candidats à la présidentielle. Chirac perd à nouveau les élections et devra attendre sept ans de plus.
Le sacre
En 1995, Edouard Balladur est le favori des sondages. Il est soutenu par des membres éminents du RPR tels que Nicolas Sarkozy. Ce que Chirac considérera comme une trahison et ne pardonnera jamais au futur président. Pourtant, à la faveur d’une campagne rondement menée, le Corrézien remporte l’élection. Son règne est marqué par plusieurs crises. Dès 1995, il doit affronter les grèves les plus importantes qu’aient connu le pays depuis mai 68. Le «plan Juppé», série de mesures d’austérité, lance des millions de Français dans les rues.
En 1997, il commet ce que certains ont qualifié de bourde. La même année où il suspend le service militaire obligatoire, Jacques Chirac prend la décision de dissoudre l’Assemblée nationale. Amenant ainsi une majorité de gauche dans la chambre basse du Parlement. Il fait de Lionel Jospin son Premier ministre. C’est à son initiative que les grandes décisions de l’époque seront prises. La plus célèbre étant l’instauration des 35 heures. N’ayant plus les moyens de gouverner, le président reste en retrait. Ce qui ne l’empêchera pas d’être réélu en 2002 à la faveur d’un second tour ayant marqué les esprits. Alors que Lionel Jospin fait figure d’opposant naturel, c’est Jean-Marie Le Pen qui accède au duel final. Une forte mobilisation anti-Front national plus tard, Jacques Chirac peut sereinement rempiler pour un dernier mandat.
La guerre en Irak
La relation de Jacques Chirac avec les Etats-Unis est faite de contraste. Dès sa jeunesse, il connaît son premier accroc avec Washington. Alors qu’il est un jeune étudiant proche du Parti communiste, il est interrogé à la suite de sa première demande de visa pour les Etats-Unis. Mais Chirac, c’est également celui qui entame les négociations qui aboutiront à la réintégration de la France au sein du commandement de l’OTAN en 2007, environ 40 ans après que Charles De Gaulle l’en ait retiré.
Mais s’il ne fallait retenir qu’un événement qui caractérise la nature de son rapport aux Etats-Unis, c’est son refus d’engager la France en Irak. En 2003, alors que George W. Bush décide d’envahir l’Irak et demande le soutien de ses alliés, Jacques Chirac prend position contre l’intervention et s’oppose à l’implication de la France dans ce conflit. Dominique de Villepin, son ministre des Affaires étrangères de l’époque, fait un discours devant le Conseil de sécurité de l’ONU qui rentrera dans les annales. Il y exprime les réticences de la France devant la décision américaine et se fera applaudir par son auditoire.
La rivalité avec Sarkozy, les affaires et la fin
Le deuxième mandat de Jacques Chirac est surtout marquée par les problèmes judiciaires impliquant le président. Mis à jour au cours de son premier exercice, l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris est la plus célèbre. Du temps où le Corrézien était maire, les salaires d’employés du RPR auraient été payés par des sociétés privées et la mairie de Paris. Alain Juppé, en tant qu’ancien secrétaire général du RPR, sera condamné en 2004 à 14 mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité. Ce qui conduira certains à déclarer que Juppé s’est sacrifié pour Chirac.
S’impliquant personnellement en faveur du «oui» au traité constitutionnel européen, il vit le référendum de 2005 comme un camouflet. Cette même année, les banlieues s’embrasent. A la suite de la mort de deux jeunes garçons habitants de Clichy-sous-Bois, la France vit plusieurs jours de violentes émeutes dans les cités à travers le pays. L’occasion est trop belle pour le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Il trouve dans l’événement le terrain propice pour poser les bases qui le mèneront tout droit à l’Elysée deux ans plus tard.
A la suite de cet événement, l’ancien soutien d’Edouard Balladur ne cessera de prendre de plus en plus de place dans la sphère médiatique et sa rivalité avec le président fait les choux gras de la presse. Ne pouvant se représenter pour un troisième mandat, Jacques Chirac soutient officiellement Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2007.
Depuis son retrait de la vie politique, l’homme s’était fait discret. Impliqué dans les projets de sa Fondation Chirac, lancée en 2008 et portée sur la sauvegarde des spécificités culturelles, il faisait surtout l’actualité pour ses récurrents problèmes de santé. Son dernier coup d’éclat remontait à 2011 lorsqu’en pleine campagne présidentielle, il lançait : «Je peux dire que je voterai François Hollande !» Humour ou sincérité ? On ne le saura jamais.