Imbroglio policier à Sevran : le DGPN refuse la suspension du fonctionnaire voulue par le préfet
Le lendemain de l'interpellation musclée à Sevran, le préfet de police de Paris a ordonné la suspension du policier accusé de violences. Cependant, devant la levée de boucliers des fonctionnaires et des syndicats, le DGPN a refusé cette décision.
Selon les informations de BFMTV, le directeur général de la police nationale, Eric Morvan, a refusé de suspendre le policier mis en cause dans une interpellation musclée à Sevran le 11 septembre, malgré la demande la veille du préfet de police, Didier Lallement, allant en ce sens et la saisine de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) dans cette affaire.
Il n'a fait que se défendre hein ! 🤷♂#Sevran 🚔🚨🚑 pic.twitter.com/6VoQOc11K6
— Rashford31 (@Rashford31) September 11, 2019
Le 11 septembre, un homme, présenté comme «médiateur de la ville» de Sevran (Seine-Saint-Denis) par le journal Le Parisien, a, selon des images diffusées sur internet, refusé d'obtempérer à son interpellation par un policier qui lui aurait demandé de déplacer son véhicule garé en travers de la voie publique. Une bagarre s'en est suivi avant que d'autres policiers n'interviennent et mettent fin à l'altercation avec un tir de pistolet à impulsion électrique. Alors que les images, largement diffusées par le quotidien francilien, devenaient virales, les services du préfet de police de Paris, Didier Lallement, ont publié un communiqué de presse faisant savoir que ce dernier avait «ordonné» la suspension «immédiate» du fonctionnaire et demandé une saisine de l'IGPN.
Hier, une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux montrait l'interpellation d'un individu à Sevran. Afin d’établir les circonstances exactes de cette interpellation, le préfet de Police a saisi l’IGPN et ordonné la suspension immédiate du policier intervenant. pic.twitter.com/u9tXdhTdpL
— Préfecture de Police (@prefpolice) September 12, 2019
La levée de boucliers ne s'est pas fait attendre du côté des policiers et de leurs organisations syndicales. Un rassemblement a notamment été organisé devant le commissariat d'Aulnay-sous-Bois dans la soirée du 12 septembre à l'appel du syndicat Unité-SGP Police. Les représentants syndicaux et leurs collègues ont bientôt été rejoints par la nouvelle directrice de la Direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) Valérie Martineau, preuve que les huiles parisiennes avaient saisi l'ampleur du mécontentement.
Ni le préfet ni le DGPN ne savent ce que c'est que de se retrouver dans un équipage de police en pleine banlieue sensible
Contacté par RT France, le secrétaire départemental Unité SGP-Police de Seine-Saint-Denis, Erwan Guermeur, exulte : «Oh oui, c'est une victoire pour Unité, c'est certain ! Il y a eu des échanges entre notre secrétaire général et le ministère et le policier ne va pas être suspendu. Pour nous, c'est tout ce qui compte. Nous sommes là pour les défendre. On peut discuter de la nature des images et de l'interpellation par le collègue bien entendu, mais une suspension comme ça, sans enquête, c'est impossible !»
Une décision préfectorale trop hâtive ? Les associations de police demandent une enquête préalable
Le syndicaliste ne cache pas son désarroi face à la prompte réaction du préfet de police : «Le communiqué de Lallement, ça me révolte ! Un fonctionnaire de police fait son travail et il est suspendu ? Le préfet ne se rend pas compte du mal qu'il fait aux collègues avec des décisions comme ça. Ni lui ni le DGPN ne savent ce que c'est que de se retrouver dans un équipage de police en pleine banlieue sensible. Alors quand le ministre vient nous parler de "reconquête républicaine" ou de "sécurité du quotidien", mais quel signal envoie une telle décision aux collègues ? Le policier ne mérite pas une suspension sans enquête.»
Les associations de police saluent également la décision du DGPN et l'action menée par les syndicats. Contacté par RT France, un membre du Collectif autonome des policiers d'Ile-de-France a livré quelques éléments de contexte rappelant le point de vue du policier de terrain : «Dans les banlieues, les médiateurs et autres éducateurs, on les connaît bien. Certains font un travail impeccable, mais d'autres ont tendance à se servir de leur ascendant dans le quartier et à jouer les grands frères, notamment dans leurs rapports avec les policiers. Là, manifestement, la personne interpellée se comporte mal. Mais surtout, sur la vidéo, on ne voit pas ce qui se passe tout autour. Les collègues sont en plein quartier, on ne sait combien de personnes assistent à la scène et dans quelle disposition ils se trouvent vis-à-vis des forces de l'ordre. Nous, associatifs, c'est ça qu'on demande à présent : une enquête qui établisse d'où vient la vidéo... La totalité de ce qui a été filmé est-elle disponible, par exemple ? Par ailleurs, quelles ont été les communications radio des collègues sur l'intervention ?»
On a abandonné les quartiers aux voyous. La nature a horreur du vide et les caïds ont recréé de petits Etats dans l'Etat. A ce titre, ce sont les politiques qui sont responsables
Et de poursuivre : «On se réjouit de la réaction des syndicats qui sont totalement dans leur rôle mais nous voulons que toute la lumière soit faite sur l'affaire. Le préfet Lallement a réagi trop vite et en fonction de l'impact médiatique potentiel. Quand il y a des dérapages en manifestation de Gilets jaunes les samedis, il n'y a pas de communiqué de la préfecture de Paris comme ça par exemple. On ne sait pas ce que les policiers deviennent. Mais là, ça prend tout de suite une tournure défavorable pour le policier. Ce qui s'est passé là à Sevran, ça ressemble à l'affaire Théo et ce qui s'est passé à Grigny [Essonne] le 8 septembre, ça ressemble à l'affaire de Viry-Châtillon en octobre 2016... Donc on peut voir que rien n'a changé en quelques années. Le parallèle est toujours le même.»
La situation a-t-elle pour autant évolué sur le terrain en zone prioritaire ? Le policier militant pense que la situation n'a fait qu'empirer : «Pour vous donner un exemple, il est courant en banlieue parisienne que sur un cycle de 24 heures, il y ait seulement quatre effectifs disponibles sur le terrain pour assurer la sécurité de plusieurs dizaines de milliers de personnes dans un secteur difficile... Dans ces conditions-là, on ne sort même plus en patrouille et on est forcés de mutualiser les moyens entre les commissariats. C'est ainsi qu'on arrive à ce type de situations. Le policier qui est intervenu à Sevran est d'ailleurs affecté à Aulnay-sous-Bois.»
Contacté par RT France, l'ancien commandant de police Jean-Pierre Colombies dresse le même constat et va plus loin : «La question dans ces situations, ce n'est plus de savoir qui a tort ou qui a raison. C'est simplement symptomatique de ces territoires. La tension est telle qu'il y a une dégradation systématique des rapports entre la police et les citoyens. Tout présence policière est vécue comme une agression. Les gens qui habitent dans ces secteurs ne connaissent plus les institutions et n'ont plus aucune relation avec ceux qui les incarnent, que ce soit le postier, le policier ou le pompier. La fonction publique est totalement absente. La nature a horreur du vide et les caïds ont recréé de petits états dans l'Etat. A ce titre, ce sont les politiques qui sont responsables.»
Les syndicats ont-ils pesé dans la décision ?
«Globalement, depuis l'époque de Nicolas Sarkozy, la situation n'a fait que se dégrader. A présent, il y a des zones de non-droit et il faut l'admettre, c'est tout. Il faut pacifier ces zones et les sécuriser à nouveau. Mais pour le faire, il faut aussi se poser la question des moyens qu'on va mettre en place et quel nouveau dialogue social on veut instaurer. Si la police n'est qu'un outil répressif, les gars seront envoyés au casse-pipe. Il faut en finir avec la machine à statistiques.», poursuit-il.
Les organisations syndicales policières majoritaires, notamment Unité-SGP et Alliance, ont-elles une part de responsabilité dans le refus d'Eric Morvan d'appliquer la suspension demandée par le préfet de police de Paris ? Si les responsables syndicaux se targuent d'une grande victoire, le dessous des cartes n'est pas connu pour le moment.
En tout état de cause, cette levée de bouclier intervient dans un contexte particulier de tractations entre le ministère de l'Intérieur et les partenaires sociaux des forces de l'ordre qui négocient depuis de longs mois (en échange d'une très forte sollicitation des forces de l'ordre tous les samedis de Gilets jaunes, surtout entre novembre 2018 et mai 2019) afin d'obtenir le remboursement de millions d'heures supplémentaires, pour une hausse des salaires, pour le maintien des régimes spéciaux des retraites, ou encore pour la conservation des commissions paritaires. Le thème des suicides dans la police et de la dégradation des conditions de travail avait justement été débattu le 12 septembre, donnant lieu à un CHSCT élargi des représentants syndicaux place Beauvau en présence du ministre.
Antoine Boitel
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