France

Paris : pourquoi des symboles du IIIe Reich et un buste d'Hitler se trouvaient-ils au Sénat ?

Une enquête du journal Le Monde a mené à l'exhumation par la chambre haute du Parlement d'artefacts du IIIe Reich qui sont restés enfouis pendant 75 ans de la libération de Paris à aujourd'hui. Le Sénat dans l'embarras ?

L’occupation de la France par l’Allemagne nazie entre 1940 et 1944 aura laissé des stigmates jusque dans les plus hautes institutions de la République. Dans une enquête publiée le 3 septembre, Le Monde révèle que le Palais du Luxembourg renferme, dans ses sous-sols, un véritable «trésor nazi» datant de la Seconde Guerre mondiale parmi lesquels un buste d’Adolf Hitler et un drapeau nazi du IIIe Reich.

Un des secrets les mieux gardés du pays puisque, interrogés par le quotidien, ni Vincent Capo-Canellas (UDI), questeur depuis 2017, ni ses deux anciens collègues au même poste, Jean-Marc Pastor et Gérard Miquel, n'étaient au courant de la présence de tels objets. «C’est une découverte pour beaucoup de gens, tout le monde tombe de haut», explique finalement le service de communication de la chambre haute, toujours au Monde, après avoir contesté leur existence.

Le personnel du Sénat aurait travaillé jusqu’à récemment sur des bureaux ornés de l’aigle du IIIe Reich

Loin de désarmer, le journal assène et joue le mystère dans son article : «Qui sait qu’un buste d’Adolf Hitler de 35 centimètres de haut est caché au sous-sol, sans être répertorié ? Qu’un drapeau nazi de deux mètres sur trois y est conservé depuis la Seconde Guerre mondiale ? Que le personnel du Sénat aurait travaillé jusqu’à récemment sur des bureaux ornés de l’aigle du IIIe Reich ? Une poignée d’initiés, pas plus.»

Le quotidien apporte même plusieurs clichés, fournis par un Sénat acculé, sur lesquels on peut effectivement observer un buste en métal de 35 cm représentant le Führer mais également un drapeau rouge et blanc de plusieurs mètres orné d’une croix gammée et d’une croix de fer. Si personne ne connait l’origine précise de ces objets, il est probable que l’occupation par l’armée de l’air allemande, la Lutwaffe, du Palais du Luxembourg, n’y soit pas étrangère.

Après la fin de la guerre, Emmanuel Robichon, directeur du service du personnel intérieur et du matériel, est chargé de faire l’inventaire complet des biens retrouvés dans le palais. Il rend son rapport le 4 février 1949, écrivant avoir été «tellement surmené et déprimé» par la quantité de meubles à consigner «que [sa] santé en a été gravement altérée». Mais aucune mention d’un quelconque buste du dirigeant allemand dans le document de 18 pages.

«C’était tellement le chaos, je ne pense pas qu’il y ait eu un inventaire précis des casques», essaye de justifier une source sénatoriale, toujours auprès du Monde. «Le buste devait être dans un bureau de l’occupant. Il est toujours resté en réserve, il n’en est jamais sorti. Personne ne s’en est occupé, je ne vois pas ce qu’on peut en faire», déclare quant à lui Damien Déchelette, architecte en chef du Sénat, au quotidien. Il semblait au courant de l’existence de tels objets.

Contacté à de nombreuses reprises par le quotidien vespéral, le palais du Luxembourg tente alors de jouer cartes sur table après une valse hésitation manifeste. Si aucune précision n’est apportée à propos de la provenance du mobilier, le Sénat précise que «les archives comportent notamment des dossiers de correspondance avec les autorités allemandes en français et en allemand, voire bilingues, ainsi que des plans des abris et du palais établis par l’occupant» et révèle que des ouvrages estampillés «Luftflotte West» et «Luftkreiskommando» sont conservés tout comme un appareil respiratoire allemand et une lampe à gaz.

Le Sénat avance également que du mobilier, comportant notamment des chaises, gravé de l'aigle du IIIe Reich, est stocké dans ses réserves. «De temps en temps, on peut se rendre compte qu’il y a une estampille [nazie], ce n’est pas du mobilier qui est en circulation», confirme le service de communication au Monde. Dans les colonnes du quotidien, Jean-Marc Todeschini, ministre de François Hollande, assure qu’il «n’y a pas un culte d’Hitler au Sénat». Roger Karoutchi, sénateur LR, s’emporte auprès du Monde : «On ne garde pas un buste d’Hitler au Sénat, c’est insensé !»

Cependant, le Sénat s'est plié à l'exercice de vérité et les photographies fournies par la direction de la communication de la chambre haute du Parlement s'étalent dans Le Monde. Si les journalistes espéraient initialement trouver les reliques de guerre dans le bunker enfoui sous le jardin du Palais du Luxembourg (au-dessus duquel les nazis avaient eu le temps de planter un potager), ils n'y trouveront que quelques objets sans importance liés à l'occupation, mais ils n'auront jamais eu accès au lieu même où se trouvait le buste représentant Adolf Hitler : «La relative transparence du Sénat s’est arrêtée en haut des marches de son sous-sol.»

Faute de réponses complètes, Le Monde cherche une explication à la conservation de ces objets historiques et propose ses propres inférences, éclairées par des historiens. A propos du buste, l'historienne spécialiste de l'occupation de Paris, Cécile Desprairies, relève : «C’est étonnant qu’il n’ait pas été détruit. Il ne doit pas y avoir 36 bustes d’Hitler à Paris, c’est peut-être même le seul…» Et elle avance : «Les drapeaux nazis étaient pris comme trophées. Les lieux étaient pillés, saccagés, les libérateurs emportaient un petit morceau de l’occupant, ça a été la foire d’empoigne. Ça circulait ensuite au marché noir, et ça circule toujours. Il n’y a pas eu de politique de destruction ou de police de contrôle. Les vainqueurs font ce qu’ils veulent.» 

Un sénateur ou un employé du Palais a-t-il voulu garder des souvenirs ? «Est-ce que quelqu’un n’aurait pas voulu s’en faire un cabinet de curiosités ?», se demande même un salarié actuel du Sénat. Pour ce qui est en tout cas de l'intérêt historique de la chose, Le Monde questionne les motivations : «Pourquoi les cacher et ne pas faire œuvre de pédagogie en les montrant au grand public dans le cadre d’une exposition ?»

L'explication ne viendra peut-être jamais, mais un ancien administrateur du Sénat a son avis : «C’est choquant. Soit on détruit cet objet le 26 août 1944, au lendemain de la Libération, soit on le garde, mais dans un sens historique, aux Invalides ou dans un musée de la déportation. Le cacher et, semble-t-il, le protéger, je ne comprends pas… C’est sans doute une négligence, des petites guéguerres internes.»

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