Economie

Cinq bonnes raisons de s'opposer à la privatisation d'ADP

Le Conseil constitutionnel a récemment ouvert la voie à un potentiel référendum sur la privatisation d'ADP, lors duquel les Français pourraient être amenés à se prononcer sur la question. Quels sont les arguments des opposants à l'opération ?

L'Etat, jusqu'alors tenu de conserver la majorité des parts du groupe Aéroports de Paris (ADP), pourrait, dans le cadre de loi Pacte (définitivement adoptée par le Parlement le 11 avril 2019), procéder à la vente au privé de tout ou partie de ses actifs dans l'entreprise aéroportuaire, soit 50,63% des parts, représentant quelque 9,5 milliards d'euros au moment de l'élaboration du projet. Le gouvernement entend que l'opération prenne la forme d'une concession pour 70 ans.

En amont d'une hypothétique consultation populaire sur la privatisation d'ADP, les opposants au projet gouvernemental mettent en avant plusieurs arguments. Voici les cinq principaux.

1. Garantir la souveraineté nationale

Constituant une frontière pour la France, les aéroports parisiens seraient donc, en cas de privatisation, contrôlés par des actionnaires sans lien avec la gouvernance du pays. Tous ceux qui s'opposent à cette privatisation estiment en effet que le groupe aéroportuaire est une infrastructure stratégique, présentant des enjeux de souveraineté, de sécurité, d'aménagement du territoire et environnementaux. Le fait que 86% des aéroports dans le monde soient publics n'est certainement pas un détail.

Dans une tribune signée par 103 parlementaires Les Républicains (LR), ceux-ci rappellent à cet égard qu'«à l'exception de Londres, toutes les grandes nations développées, y compris les plus libérales comme les États-Unis, ont fait le choix de la maîtrise des frontières. Aucun aéroport américain n'est privatisé. Aucune frontière n'est gérée par une entreprise privée».

2. Conserver une entreprise rentable

Le gouvernement actuel souhaite que l'Etat vende des entreprises tout à fait profitables. Les trois sociétés aéroportuaires (Roissy, Orly et le Bourget) génèrent 175 millions d’euros de dividendes, en constante progression. Le chiffre d'affaires du groupe a a augmenté de 22% en 2017. Une source de revenus que ce gouvernement est prêt à sacrifier.

Sa stratégie ? En vendant ADP, l'exécutif entend récolter 15 milliards d’euros, dont cinq seraient alloués à la réduction de la dette. Un montant dérisoire quand on sait que la dette française s’élève aujourd’hui à près de 2 300 milliards d’euros. Les dix milliards restant seraient utilisés pour créer un fonds d’investissement pour l'innovation dit «de rupture», qui rapporterait chaque année à l’Etat 250 millions d’euros.

3. S'épargner le coût de la privatisation

Pour le contribuable et probablement à terme pour l'usager, l'éventuelle privatisation des aéroports parisiens ne va pas être synonyme de profit. En effet, en plus de perdre de l'argent, l'Etat prévoit d’indemniser les actionnaires minoritaires actuels.

Après la vente, le revenu des dividendes perçues grâce à ADP sera perdu pour l’Etat français. Ces recettes seront remplacées, selon des spécialistes, par des impôts perçus sur l’ensemble des contribuables français, dont la majorité ne prend jamais l’avion. En outre, un milliard d’euros, en vue de l’éventuelle renationalisation de 2089, pourrait même être versé à ADP dès 2019.

4. Respecter les principes constitutionnels

«Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité» dispose le 9e alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. De nombreux juristes ont estimé que le projet de privatisation s'oppose à la Constitution.

Sur cette question, c'est le Conseil constitutionnel qui tranchera. Deux juristes, une élue et un expert ont appelé dans une tribune au quotidien Le Mondedu 30 janvier à ce que la question soit soumise au grand débat. «Hier, on a cédé les autoroutes sans consultation, pénalisant les contribuables qui réprouvent désormais ce choix opéré à leur détriment. Aujourd’hui, on s’apprête à privatiser le plus grand domaine aéroportuaire d’Europe sans que les Français, solennellement appelés à débattre de tout, ne puissent s’en emparer !», écrivaient les signataires de la tribune avant que la loi Pacte ne soit adoptée le 11 avril.

5. Ne pas reproduire l'erreur de Toulouse

Les détracteurs de la privatisation citent également à l'unisson l'exemple de la vente récente de l'aéroport de Toulouse à un groupe chinois, décidée par Emmanuel Macron lorsqu'il était ministre de l'Économie en 2015. Cette cession a été déplorée par la Cour des comptes qui l'a qualifiée d'«échec» et a relevé en octobre 2018 «de graves insuffisances» ainsi qu'une ­absence de «réflexion de l'État quant à la stratégie à adopter face à certains investisseurs étatiques étrangers».

Les économiste David Cayla et Coralie Delaume, auteurs d'une pétition sur Change.org expliquent que «le consortium chinois sans expérience» dans la gestion aéroportuaire a «vidé les caisses de l'entreprise en se versant des dividendes considérables». Il compte maintenant revendre l'aéroport de Toulouse pour un montant supérieur de... 200 millions par rapport au prix d'achat. En effet, l'actionnaire chinois veut maintenant vendre 500 millions d'euros les actions qu'il a achetées 308 millions fin 2014. «Une véritable prédation !», estiment les deux économistes.