L'Assemblée nationale a donné dans la soirée du 30 janvier son feu vert à la possibilité pour les préfets de prononcer des interdictions de manifester, disposition clé de la proposition de loi anticasseurs, malgré des critiques jusqu'au sein de la majorité. «Il ne faut pas caricaturer [cet article 2]» avait déclaré plus tôt, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner qui assurait que la disposition controversée était censée « garantir le droit de manifester».
Dans l'arsenal juridique français, ces interdictions administratives préalables s'ajouteront aux interdictions qui peuvent déjà être prononcées par la justice lors de condamnations. Par un amendement du gouvernement, cette mesure phare de la proposition de loi sénatoriale LR a été réécrite pour apporter «des améliorations juridiques et opérationnelles», selon le secrétaire d'Etat Laurent Nunez.
Les Républicains applaudissent, la gauche et le RN condamnent, LREM partagée
L'ensemble de la gauche est montée au créneau, dénonçant des «lettres de cachet» (PS) ou une «loi de circonstance» (PCF) face aux Gilets jaunes, s'attaquant «aux libertés fondamentales de tout un peuple» et introduisant dans le droit commun une mesure permise dans le cadre de l'état d'urgence (LFI).
Le Rassemblement national s'y est également opposé, critiquant un calque des interdictions de stade pour les hooligans alors que la liberté de manifester est d'un niveau supérieur.
«On se croit revenu sous le régime de Vichy», s'est exclamé le député centriste Charles de Courson membre du groupe Libertés et territoires, suscitant de vives protestations dans la majorité et à droite.
On se croit revenu sous le régime de Vichy
A l'inverse, Les Républicains, par la voix d'Eric Ciotti, ont défendu une mesure d'interdiction «opportune et pertinente» qui «va faire progresser la sécurité de nos concitoyens, des forces de l'ordre et des manifestations». Ce texte est en réalité une proposition de loi issue des rangs des Républicains (LR) en juin 2018 pour répondre, à l'époque, à la menace publique que constituaient les groupes violents d'ultragauche dans les cortèges de tête des manifestations : elle était portée par Bruno Retailleau, président du groupe LR à la chambre haute du Parlement.
Dans les rangs des marcheurs, quelques voix se sont également élevées pour réclamer la suppression de l'article, manquant de «garde-fou» selon Delphine Bagarry. Aurélien Taché s'est aussi inquiété de ce que pourrait en faire un pouvoir autoritaire. D'autres élus LREM ont défendu en vain des amendements pour un meilleur encadrement. De leur côté, les députés MoDem ont plaidé pour une condamnation pénale préalable de la personne.
Jusqu'à six mois de prison et 7 500 euros d’amende en cas d’infraction
Les préfets pourront prononcer des interdictions de manifester à l'encontre d'individus représentant «une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public», sous peine de six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende en cas d'infraction. Des «critères objectifs» ont été ajoutés : la personne devra avoir commis des «atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi que des dommages importants aux biens» ou encore «un acte violent» lors de manifestations précédentes.
Le préfet sera en droit d'imposer une convocation à la personne concernée, afin qu'elle ne se rende pas à la manifestation.
En cas de risque de participation à d'autres rassemblements, le préfet pourra interdire à la personne de prendre part à toute manifestation sur l'ensemble du territoire national pour une durée jusqu'à un mois. Les personnes «interdites» de manifester pourront faire un recours en urgence devant la justice administrative, a précisé un amendement de la rapporteure Alice Thourot (LREM) qui a été adopté.
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