Entre la Malaisie et la France, il y a de la friture sur la ligne. Suite à la découverte d'un bout d'aile qui appartenant probablement au Boeing 777 de la Malaysia Airlines disparu le 8 mars 2014, la France a en effet pris la main sur l'enquête. «Il y a des victimes françaises qui ont porté plainte, et un juge s'est saisi de cette affaire. Surtout, une pièce a été trouvée en France, il était donc normal que la France garde cet élément pour des analyses», explique Vincent Favé, ancien conseiller aux affaires internationales du directeur du Bureau d'Enquêtes et d'Analyses (BEA), et aujourd'hui expert à la cour d'appel de Paris.
De leur côté, les autorités malaisienne ont tout de même demandé à Paris de récupérer cette pièce afin de procéder à leurs propres analyses. La France a catégoriquement refusé, même si selon le droit international, l'enquête doit bien être dirigée par Kuala Lumpur, qui a perdu 38 ressortissants dans ce crash. «La Malaisie est l’État exploitant, et est donc chargée de l'enquête à partir du moment ou l'épave a disparu», explique Vincent Favé. «Mais la France avait tout à fait le droit de garder cette pièce.»
«La France apporte son plein soutien à cette enquête de sécurité afin qu’elle puisse continuer d’avancer en bonne coordination avec les enquêtes judiciaires ouvertes dans les pays concernés», a de son côté déclaré le ministère des Affaires étrangères.
Pourtant, derrière ces formules diplomatiques, ce sont bien des divergences qui entourent cette enquête. Des proches de passagers chinois, pays avec qui les tensions sont intenses, ont notamment accusé les autorités malaisiennes et la Malaysia Airlines de leur avoir menti. Et quelques heures après l'annonce du Premier ministre malaisien - démentie par la France - expliquant que le débris découvert à la Réunion provenait bien du Boeing 777 porté disparu, les familles des 153 victimes chinoises ont dénoncé les «mensonges» de la Malaisie.
Le Guardian a même rapporté des témoignages de proches des victimes Chinoises estimant qu'en 515 jours, la Malaisie avait «eu tout le temps nécessaire pour inventer de faux débris» ou affirmant que «peu importe ce qu'ils disent en France, on ne les croit pas». «Les enquêtes où il y a beaucoup de pays ne sont pas simples», reconnaît Vincent Favé.
Pour les familles françaises touchés par ce crash aérien, la reprise en main française a en tout cas été vue comme un soulagement. Car l'enquête de la Malaisie est pour l'instant très critiquée. En France, Ghislain Wattrelos, père et mari de victimes du vol MH370 s'est même déclaré «ravi que ce débris soit tombé en France, il est urgent que la France ne donne surtout pas ce débris aux gens qui nous désinforment depuis le début.»
La Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs a, elle, expliqué que «depuis le début de l'enquête, la Malaisie refuse de répondre aux juges français.» La théorie d'un mensonge des autorités malaisiennes, qui ont mis énormément de temps à intervenir, se développe depuis plusieurs mois auprès des proches des victimes.
Le fait que la Malaysia Airlines, déficitaire, soit régulièrement maintenue à flot par le gouvernement malaisien ne fait qu’augmenter cette suspicion. «Ce n'est pas une première, les familles ont toujours la sensation qu'on leur cache des choses», estime Vincent Favé. «Mais le BEA est un organe de grande qualité, et c'est une bonne nouvelle qu'il gère cette enquête même si cette pièce ne va pas forcément aider à connaître la vérité», contrairement aux espoirs des familles.
En savoir plus : Malaysia Airlines en faillite technique.
Ce n'est en tout cas pas la première fois qu'une enquête sur un crash aérien suscite des remous entre des pays. Après trois ans de suivi des enquêtes majeures et impliquant plusieurs pays, Vincent Favé note que «des complications importantes ont déjà eu lieu entre les pays impliqués dans un crash. On peut penser à la catastrophe de Charm-el-Cheikh, qui avait entraîné d'importantes tensions entre la France et l’Égypte sur la manière de conduire l'enquête.»
Autre exemple en 1997 quand un Boeing 737 de la compagnie SilkAir assurant la liaison Jakarta-Singapour avait plongé dans une rivière, tuant les 104 passagers à bord. Les enquêteurs américains avaient conclu au suicide du commandant alors que rien, selon Singapour, n'étayait cette version. Américains, Espagnols et Néerlandais s'étaient aussi écharpés suite à la collision entre deux Boeing 747 de la KLM et de la Pan Am sur l'aéroport de Tenerife en 1977.