France

A l'heure de la loi contre les «fake news», la liberté de la presse fait toujours débat (VIDEOS)

A l'occasion du Festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne, David Pujadas, Jean-Michel Aphatie ou encore Alexis Corbière ont livré leur point de vue sur la liberté de la presse, la loi anti-«fake news» et les médias en général.

Au Festival international de journalisme organisé par le groupe Le Monde à Couthures-sur-Garonne du 13 au 15 juillet, de nombreux intervenants discutent et débattent pendant trois jours de divers sujets ayant trait aux médias, à l'actualité et au journalisme. 

Invitée à s'exprimer, la présidente de RT France Xenia Fedorova a eu l'occasion d'expliquer les raisons qui, d'après elle, causent le désamour très fort du public européen en général, et français en particulier, pour la presse traditionnelle. Selon Xenia Fedorova, le traitement médiocre d'une actualité pourtant riche en complexité contribue à creuser le fossé entre les Français et les journalistes, favorisant ainsi des médias qui font le choix de parler des sujets trop souvent passés sous silence.

L'une de ses interventions a d'ailleurs donné lieu à un petit échange de piques avec l'éditorialiste Jean-Michel Aphatie, qui assumait n'avoir rien à dire au sujet de l'arrivée de RT France dans l'Hexagone... mais a tout de même tenu à donner son point de vue sur la Russie. Un point de vue à l'image de celui de la presse française en général, relayant son lot de «fake news», comme l'a ironiquement souligné Xenia Fedorova.

Loi anti-«fake news», indépendance de la presse et liberté d'expression... 

Présent sur place, notre journaliste Lucas Léger a également eu l'occasion d'interroger plusieurs journalistes sur la fameuse loi contre les «fake news» et sur le journalisme en général, recueillant des points de vue divers. «C'est totalement inapplicable leur histoire», estime Elizabeth Lévy, journaliste et éditorialiste, directrice de la rédaction du magazine Causeur. Tout en estimant cette loi «ridicule», elle juge qu'elle n'est pas réellement dangereuse. 

David Pujadas, ancien présentateur vedette du JT de France 2, estime que la télévision en 2018 est «totalement indépendante», attribuant la défiance des Français à leur égard à une défiance plus large visant toutes les institutions, «et les médias sont une institution», ajoute-t-il.

Cette loi «ne répond pas aux vrais problèmes de la presse aujourd'hui», estime quant à lui Alexis Corbière, député de La France insoumise, qui rappelle par exemple qu'une grande précarité touche les journalistes ou que la question de la concentration des médias entre les mains d'un petit nombre de grands patrons de presse n'est pas réglée. Il juge que l'affaire Cahuzac n'aurait jamais été révélée si cette loi «potentiellement liberticide» avait alors existé.

Jean-Michel Aphatie, interrogé sur une éventuelle menace que ferait planer la fameuse loi sur la liberté d'expression, dit ne pas y croire, d'autant qu'elle est selon lui «inappliquée». «C'est de l'agitation stupide», estime-t-il, que tout en admettant «ne pas savoir pourquoi» le gouvernement cherche à faire passer cette loi : «Ca ne m'a pas passionné d'essayer de comprendre.» 

Sonia Devillers, journaliste sur France Inter, juge que c'est l'arrivée des médias russes qui aurait pu expliquer, notamment après le Brexit, l'adoption d'une loi contre les «fake news». «Au final, ça fait un arsenal législatif un peu vague, un peu mou et pas très probant», ajoute-t-elle.

Un projet de loi qui suscite un tollé à gauche comme à droite

Les discussions parlementaires comme médiatiques autour de ce projet de loi sont nombreuses et virulentes. Plusieurs mesures prévues par les textes pourraient poser problème, notamment d'un point de vue juridique. A commencer par la définition même de la fausse information, à savoir «toute allégation ou imputation d'un fait, inexacte ou trompeuse». «Ce manichéisme du vrai et du faux paraît évident à première vue, mais en réalité, pour les juristes, il est impraticable», estime ainsi l'avocat Renaud Le Gunehec, spécialiste du droit des médias pour le journal Le Point

Autres points litigieux : le délai de 48 heures laissé en pratique au juge pour établir la fausseté d'une information et décider d'une éventuelle sanction, ou encore une crainte de la censure qui pourrait poser problème au niveau du Conseil constitutionnel. 

Alors que les textes visent particulièrement les médias «sous influence» de l'étranger, la ministre de la Culture Françoise Nyssen avait ouvert le débat en juin, plaidant : «La manipulation de l'information est un poison lent qui abîme notre vie démocratique. L'attitude liberticide, face aux dangers actuels, c'est la passivité.»

Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise (LFI) avait alors fait remarquer que, sous couvert de lutte contre les «fake news», le gouvernement se livrait en réalité à un bras de fer entre Etats. «Allons-nous et quand interdire Russia Today [ancien nom de RT] et Sputnik ? Il n'y a pas d'autres sujets !», avait-il lancé non sans ironie, exigeant des clarifications. Dans un article publié sur son blog, il avait qualifié de «danger» la nouvelle loi en discussion, analysant : «Sous prétexte de viser Russia today et Sputnik, tous les sites sont désormais sous la menace d’une interruption décidée par le pouvoir.»

A droite également, des voix s'étaient élevées. Lors d'une conférence de presse, Marine Le Pen avait ainsi dénoncé un texte «liberticide», estimant que le gouvernement d'Emmanuel Macron s'apprêtait à «considérablement réduire nos libertés d’expression, d’information, et peut-être d’opinion». La présidente du Rassemblent national (ex-Front national) avait poursuivi : «Si cette proposition est votée, les valeurs les plus essentielles que consacre notre Constitution et, plus profondément, les valeurs de la démocratie, seront bafouées.»

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