Arnaud Beltrame, tué par le terroriste islamiste Radouane Lakdim, est devenu un héros national après son acte lors des attaques de Trèbes le 23 mars. Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, avait adressé le 27 mars un message destiné aux établissements scolaires et aux professeurs, afin qu'un hommage soit rendu le mercredi 28 mars à celui dont le courage avait été salué de tous.
Deux syndicats, Sud Education et Snes-FSU, avaient critiqué cette démarche. Le premier avait estimé que «ce n’était pas au ministre de [leur] dicter quels devaient être [leurs] ressentis et [leurs] émotions» et «le respect d’autrui ne s’enseigne pas à coup de prescriptions morales». Le deuxième jugeait que les moments d’explication et d’échange demandé par Jean-Michel Blanquer, «demandait du temps, du recul, et s’accommodait mal des réactions dans l’urgence commandées par l’émotion».
Sur Twitter, un enseignant dans un lycée de l'Académie de Marseille, membre du Conseil supérieur de l'éducation et porte-parole du syndicat Action et Démocratie, René Chiche, se scandalisait que «plusieurs établissements scolaires n'aient pas participé à l'hommage national célébrant la bravoure de l'un des nôtres, [et] que des professeurs [aient] rechigné [à suivre les consignes de l'hommage]».
Contacté par RT France, René Chiche explique avoir tweeté ce message après avoir reçu des témoignages de professeurs et de parents d'élèves. Il assure toutefois ne pas vouloir faire d'amalgame et ne pas cibler les lycées en difficulté. Il s'en prend d'ailleurs à la consigne ministérielle qu'il estime être «plus que minimaliste, désinvolte et venant trop tard». Contrairement à l'hommage rendu après les attentats en 2015, René Chiche ne comprend pas «le silence étonnant et assourdissant» qui a finalement débouché sur une consigne le 27 mars dans l'après-midi (soit quatre jours après les attaques) pour un hommage le lendemain matin. «Certains professeurs ont prétexté ne pas avoir l'avoir reçue à temps», déplore-t-il.
Mais le timing n'explique pas tout selon René Chiche : «Ce qui m’a fait réagir, c’est que dans certains lycées l'hommage n'a pas été effectué, ou alors effectué d’une façon tellement insignifiante, que cela en était presque une marque de mépris.»
Il confie en outre avoir été contacté par le ministère de l'Education nationale après son premier tweet. Ce dernier l'aurait assuré «de sa volonté de ne rien laisser passer et qu'aucun signalement ne lui avait été transmis».
Un climat de «délitement» de l'enseignement civique
René Chiche décrit plutôt un «climat dans les établissements» qui expliquerait ces hommages bâclés. Il explique être arrivé dans son lycée, un établissement qu'il décrit comme «tranquille», le lundi 26 mars et avoir constaté une indifférence générale après les attaques du vendredi 23 mars. A ses premiers élèves, il demande un moment de recueillement pour Arnaud Beltrame. Il tend alors le portrait du militaire à ses élèves. «Spontanément, les élèves se lèvent en masse, le reproduisent et vont l’afficher sur toutes les salles. Quelques minutes après, une surveillante passe derrière et arrache tout, sur consigne de la hiérarchie de l’établissement, au motif que les élèves n’ont pas demandé la permission et qu'il s'agissait d'affichage sauvage», s'offusque René Chiche. D'après lui, l'établissement a «brisé un élan de spontanéité».
Autre exemple du relatif nonchaloir avec lequel l'hommage a pu être rendu à Arnaud Beltrame : René Chiche cite l'exemple d'un professeur qui commence son cours, évoque divers sujets, puis, alors qu'une élève lui rappelle qu'il est l'heure de la minute de silence, interrompt son cours, observe l'hommage dans le silence... avant de reprendre son cours comme si de rien était. Une absence de sens donné à cet événement que René Chiche déplore.
Il y voit d'ailleurs le signe d'un «délitement de l'institution et de l'enseignement». Selon lui, la formalisation de l'enseignement civique et moral dans le cadre d'un cours dédié (30 minutes hebdomadaires en seconde) en serait l'une des causes. «Dans le passé, on ne consacrait pas la formation morale et civique des élèves, on n'y consacrait pas un temps défini. C’était réparti et pris en charge implicitement par chacun dans le cadre de son métier quelle que soit la matière qu’on enseignait», argumente-t-il.
Il assure cependant qu'«un certain nombre de collègues ont fait spontanément dès le 26 mars ce qu’ils n'ont été appelés à faire officiellement par le ministère que le 28».
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