France

Marchands de sommeil considérés comme des criminels : une nouvelle mesure vraiment efficace ?

Le secrétaire d'Etat à la Cohésion des territoires annonce que les marchands de sommeil seront assimilés à des trafiquants, afin de durcir les peines. Une énième mesure alors qu' un million de personnes vivent dans des logements insalubres.

Dans un entretien publié dans le Parisien du 15 décembre, Julien Denormandie, secrétaire d'Etat à la Cohésion des territoires, a déclaré la mise en place d’un «plan inédit» pour lutter contre les marchands de sommeil. Il compte en faire des criminels, au même titre que les trafiquants. En ville ou dans les zones rurales, ces propriétaires peu scrupuleux louent à des prix prohibitifs des espaces insalubres à des personnes dont les revenus ou l'absence de papiers ne permet pas d’accéder au marché locatif ordinaire.

«Aujourd'hui on est face à un fléau : de plus en plus de personnes se spécialisent dans le business de la misère dans notre pays en louant des logements insalubres», constate le secrétaire d'Etat qui ajoute : «Chaque année, 3 000 arrêtés d'insalubrité sont prononcés mais seulement 80 à 90 marchands de sommeil sont finalement condamnés !»

Julien Denormandie annonce des mesures introduites dans le projet de loi Logement. L'une d'elles est particulièrement forte : «considérer ces marchands de sommeil pour ce qu'ils sont, des criminels, au même titre que les trafiquants de drogue, d'armes, de fausse monnaie, de tabac, d'alcool ou de contrefaçons», explique le secrétaire d'Etat. «Pour qu'on puisse lutter plus efficacement contre ces commerçants de la misère, ils doivent être reconnus comme des trafiquants par nos textes de loi», poursuit-il. Il témoigne des conditions de vie des victimes dans un tweet : «35 m2 dont 20 en sous-sol : 850€/mois sans isolation. Brisons l’impunité en renforçant les sanctions». 

Prouver que l’on n’a pas perçu de loyer exorbitant : vraiment efficace ? 

Afin de faire appliquer cette mesure, Julien Denormandie explique que le code des impôts sera modifié «en créant une présomption de revenus imputable aux marchands de sommeil». «Cela va permettre à la justice de présumer qu'ils ont perçu de l'argent de la location illégale de leur logement insalubre», insiste-t-il. Il reviendra «au marchand de sommeil de prouver qu'il n'a pas perçu de telles ressources».

Pour le secrétaire d’Etat, un grand nombre de marchands de sommeil ne sont pas condamnés car ils organisent leur insolvabilité apparente. La présomption de revenus permettrait de balayer l'argument de l’impossibilité de s’acquitter de l’amende. «Il faut les taper là où ça fait le plus mal pour eux, le porte-feuille», a-t-il déclaré sur France Bleu le 15 novembre.

Des années à rédiger des projets de loi et peu de résultats sur le terrain

Parmi les élus, certains ont fait de l’habitat insalubre leur cheval de bataille. Comme Evelyne Yonnet-Salvator, ancienne sénatrice socialiste (PS) de Seine-Saint-Denis et Jean-Pierre Sueur (PS), qui avaient déposé au Sénat le 4 juillet 2016 une proposition de loi «renforçant la lutte contre les marchands de sommeil et l'habitat indigne». Elle contenait plusieurs propositions radicales. Notamment celle consistant à saisir le patrimoine des marchands de sommeil. Ou une autre permettant aux associations de se porter partie civile contre ces «grands délinquants» et monter à 375 000 euros les amendes pour délit de «représailles» sur les locataires. A ce jour, cette proposition de loi de juillet 2016 n'a jamais été mise à l'ordre du jour à l'Assemblée. 

Les procédures existantes ne sont réellement coercitives à l'égard des marchands de sommeil et ne peuvent les empêcher de nuire. A Aubervilliers, alors même que la commune avait déployé d’énormes efforts pour traduire ces délinquants devant les tribunaux, seules deux tentatives ont abouti. Comme il est noté dans la proposition de loi : «La première était une condamnation à deux ans de prison et à 100 000 euros d'amendes, mais le prévenu a disparu et son associé continue son activité. La deuxième n'a pas débouché sur la condamnation du "marchand de sommeil" lui-même, mais d'une société écran portée par ses enfants; le "marchand de sommeil" continue en toute impunité son activité aujourd'hui.»

Pourtant la loi ALUR du 24 mars 2014 prévoit un arsenal de mesures pour lutter contre l'habitat indigne comme une peine d'interdiction d'achat d'un bien immobilier aux marchands de sommeil déjà condamnés. Elle a mis en place, pour les territoires présentant une proportion importante d'habitat dégradé, un dispositif de contrôle de l'habitation : l'autorisation préalable de mise en location. Mais comme ce dispositif est appliqué sur la base du volontariat et que les communes se montrent parfois frileuses pour le mettre en place, la plupart des zones concernées n'ont que peu de recours pour lutter contre ces trafiquants.

Même si l’insalubrité concerne 460 000 habitats en France, et un million de personnes, les «marchands de sommeil» échappent la plupart du temps à toute poursuite car leurs locataires précaires n'osent les dénoncer. Véritable professionnels du crime, ils agissent parfois par le biais de sociétés écrans qui les rendent insaisissables. Une des dernières tendances de ce marché de trafiquants consiste à racheter des pavillons et à les diviser en minuscules surfaces qu'ils louent à des conditions tarifaires abusives.

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