Aurélie [nom d'emprunt] s’est engagée dans la police à 19 ans, motivée, fière de sa mission. Compte tenu de la pression qu'elle subit dans le cadre de son travail depuis 26 ans, ce brigadier chef a tenté par deux fois de mettre fin à ses jours. La dernière fois, c'était au printemps. «Je pense que si je veux retrouver mon équilibre, je dois quitter la police», confie-t-elle aux journalistes de RT France venus l’interviewer chez elle.
Du poids de l'état d'urgence au manque de moyens mis à disposition, ses collègues sont, eux aussi, à bout de souffle. Le 13 novembre, huit nouveaux suicides ont été enregistrés au sein des forces de l'ordre en une semaine. Après une apparente accalmie depuis l'année noire de 2014 (55 suicides de policiers), la vague de suicides reprend.
La souffrance d'une policière au quotidien
Aurélie explique la combinaison des raisons qui l'ont conduite à tenter de mettre fin à ses jours. «Depuis l’âge de 19 ans, je couvre des interventions extrêmement difficiles psychologiquement, j’ai vu de nombreuses personnes décéder, des choses vraiment terribles», explique-t-elle. «Toutes ces souffrances qu’on le veuille ou non [...] m’ont impactée», ajoute-t-elle. Pression, reproches permanents des supérieurs, opérations à haute tension composent son quotidien.
Une quasi inexistence de l’aide aux policiers en difficulté psychologique
Aux difficultés de la mission s'ajoute le contexte actuel du terrorisme et le changement de certaines lois, notamment en matière de légitime défense. Pour Aurélie, il y a pire : «un management déplorable, avec une quasi inexistence de l’aide aux policiers en difficulté psychologique». Elle évoque sa vie de famille, qui a pâti de sa profession astreignante «sans reconnaissance, ni de [ses] supérieurs, ni [...] de la population.»
Et un jour, tout bascule. «Ce jour-là, j'ai compris que les demandes que je faisais à mes supérieurs de me recevoir pour entendre mon mal-être par rapport au harcèlement que je vivais, n’allaient pas être entendues», se souvient-elle. «Il y a un moment où vous vous demandez si vous servez encore à quelque chose. [...] Si c’est pas le moment de quitter la police ou parfois même de quitter la vie», ajoute-t-elle.
Il s'est tiré une balle dans la tête sur le parking du commissariat, un 1er décembre
«Ce qui m'a sauvé la vie est que ma fille rentrait à la maison ce soir-là», explique-t-elle. Mais nombre de ses collègues n'ont pas eu cette chance. «Un de mes meilleurs amis avait rencontré les mêmes difficultés. Il s'est tiré une balle dans la tête sur le parking du commissariat, un 1er décembre», s'émeut-elle.
Pourquoi autant de blues chez les policiers ?
Aurélie fait un plaidoyer pour que les choses changent en profondeur. «Nous sommes sans cesse confrontés à cette misère sociale et nous n’arrivons pas à aider la population, comme nous voudrions le faire, par manque de moyens, par manque d’une justice équitable forte», explique la brigadier chef. «Nos magistrats sont totalement déconnectés de la réalité et nous font nous sentir inutiles. Et il y a cette haine de la population à notre égard [...] alors que bien souvent les fonctionnaires de police sont là pour aider, intervenir dans des situations douloureuses», ajoute-t-elle. Elle regrette que les appels au meurtre de policiers ne soient pas sanctionnés, comme elle en réfère dans cette vidéo.
Mes collègues franchissent le pas et préfèrent mourir que de se battre
Après les attentats, la logique aurait voulu qu'on mette en place une véritable réforme pour préparer les équipes. La policière dément : «On ne nous a pas donné vraiment les moyens de lutter contre ce terrorisme. Certaines formations ont été dispensées à certains policiers, de nouvelles armes ont été données. Mais ce n’est pas partout le cas, je pense que les mesures qui ont été prises sont en fait des mesurettes.» En matière de management et d'empathie dans le corps policier, Aurélie a beaucoup à redire : «Le manque d’humanité à l’œuvre dans la police fait que beaucoup de mes collègues franchissent le pas et préfèrent mourir que de se battre.»
Que faire pour enrayer cette vague de suicides ?
Cette accélération du nombre de suicides a conduit le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, à demander le 12 novembre aux directeurs généraux de la Police nationale, de la Gendarmerie et de la Sécurité intérieure «une évaluation des mesures mises en œuvre pour prévenir les suicides parmi les forces de l'ordre».
Pour Aurélie, rien ne se résoudra de cette manière. «On n'écoute pas les fonctionnaires de la base», explique-t-elle. «On va convoquer le directeur de la gendarmerie, le directeur de la Police nationale, et ce sont ces gens-là auxquels on a expliqué comment changer nos horaires, comment faire de notre vie un enfer, comment nous traiter des années comme des numéros», fait-elle remarquer. «Croyez-vous que ces gens-là qui sont responsables du management déplorable qui existe dans la police nationale depuis plus de dix ans, soient en mesure de comprendre le mal être du gardien de la paix, du commissariat de police de Vesoul, Rennes, Lille, Marseille, Lyon ? Je ne crois pas», conclut-elle amèrement.
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