Un pas de plus dans l'élargissement de la dynamique de La France insoumise (LFI) ? Ce 11 octobre, à 20h, lors d'une soirée de lancement retransmise en direct sur YouTube, des proches du mouvement politique de Jean-Luc Mélenchon inaugurent Le Média citoyen, une chaîne diffusée sur internet qui se présente comme une alternative aux médias classiques.
La démarche initiée par Sophia Chikirou, directrice de la communication de Jean-Luc Mélenchon, se pense comme une réaction citoyenne face à la concentration des médias et à l'absence de pluralisme dans le domaine. «90% des médias français sont détenus par neuf milliardaires», rappelle le psychanalyste Gérard Miller, également soutien de Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle, et désormais co-directeur de la chaîne.
Sur le papier, l'objectif affiché est simple : faire du journalisme autrement. Un exemple de cette façon différente de couvrir l'actualité : l'équipe du Média citoyen revendique le droit de ne pas se soumettre à «l'injonction d'objectivité». «La différence entre un média objectif et un média engagé ? L'un fait semblant de ne pas avoir d'avis : l'autre assume une ligne éditoriale», résume Aude Rossigneux, la rédactrice en chef du média, dans une tribune publiée dans Marianne. «Si l'on admet que les historiens peuvent être marxistes, conservateurs ou libéraux dans leur lecture des faits, alors pourquoi ne pas reconnaître ce droit aux reporters, historiens de l'immédiat ?», justifie-t-elle.
Lancé par les insoumis mais indépendant, pluraliste mais de gauche... : les contradictions du Média citoyen
Si l'intention de se libérer à la fois de l'industrie médiatique et de la pensée unique est clairement affichée, les moyens par lesquels Le Média citoyen entend y parvenir restent flous. Le projet n'échappe d'ailleurs pas à quelques contradictions. Tout d'abord, celle d'une équipe de journalistes revendiquant la subjectivité mais se défendant vivement de mettre en place une TV Mélenchon. Le média se veut d'ailleurs «indépendant». Pourtant, si Aude Rossigneux répète à l'envi qu'elle n'appartient pas à LFI, le gros des troupes est bien composé de militants.
Ce point semble révéler une contradiction plus large, touchant à la nature même de ce nouveau média. Se revendiquant du modèle des coopératives, Le Média citoyen n'en demeure pas moins une initiative lancée par une équipe restreinte qui, paradoxe pour un projet se présentant comme citoyen et spontané, cherche désormais à recruter les salariés qui lui manquent pour faire tourner la machine. «J'ai reçu environ 150 CV de journalistes, y compris en CDI dans des rédactions prestigieuses !», s'enthousiasme d'avance Aude Rossigneux. Là encore, d'aucuns pourraient y voir une dissonance avec l'ambition d'une télévision «par les citoyens pour les citoyens», affranchie du milieu journalistique.
Enfin, quelle liberté éditoriale s'accordera Le Média citoyen ? Ou plutôt, quelle liberté éditoriale sera-t-elle accordée aux citoyens qui y contribueront ? Le cadre dans lequel il assure s'inscrire, «pluraliste, collaboratif et alternatif», laisse supposer que tous les points de vue politiques pourraient éventuellement y être représentés, pourvu qu'ils soient portés par des citoyens désireux de s'investir dans ce projet. Pourtant, une ligne éditoriale précise semble avoir été fixée avant même le lancement de la chaîne. Dans son manifeste cité par l'AFP, Le Média citoyen annonce qu'il sera «écologiste, progressiste, antiraciste, féministe».
C'est là que réside le paradoxe le plus flagrant : tout indique, dans cette ligne éditoriale assumée, une ligne politique clairement à gauche. Or, le mot n'apparaît jamais – ni dans la vidéo de présentation de la chaîne, ni dans les éléments de langage de ses concepteurs. Faut-il y voir le prolongement de la stratégie que cherche à mettre en place LFI depuis plusieurs mois ? Remplaçant petit à petit ses références à la gauche par des appels aux «gens», aux «citoyens» ou aux «Français», Jean-Luc Mélenchon entend élargir sa base électorale et créer une dynamique qui rompe avec les anciennes catégories politiques, jugées dépassées. Parler un langage de gauche sans en employer les mots pour séduire le plus grand nombre – les ambitions du Média citoyen ressemblent à s'y méprendre à celles de LFI. Pour savoir si ce pari sera payant, il faudra attendre la mi-janvier et le lancement de la première émission sous forme de journal télévisé diffusé gratuitement sur internet.