France

Pourquoi un rapport sexuel avec un enfant n’a pas été considéré comme un viol par la justice ?

L’opinion publique, les politiques et les associations sont écœurés. Une affaire de relation sexuelle intimée par un adulte à une fillette de 11 ans a été qualifiée d'atteinte sexuelle et non de viol. Explications.

La polémique gronde actuellement sur les réseaux sociaux et dans la presse, au sujet d'une affaire judiciaire relative à une relation sexuelle entre une fillette de 11 ans et un homme de 28 ans. Malgré le très jeune âge de la victime et le comportement de l’adulte, qui a exigé une fellation et une pénétration, le parquet de Pontoise n’a pas retenu la qualification de viol. Il a estimé qu’il s’agissait d’une «atteinte sexuelle», qui condamne l’agresseur au pire à 5 ans de prison, contre 15 en cas de viol. Des protestations se sont immédiatement élevées afin que l'acte soit requalifié.

Que s’est-il passé ?

En avril 2017, à Montmagny, dans le Val-d'Oise, Sarah* est abordée dans un square par un homme qui est déjà entré en contact avec elle par deux fois. Il l'entraîne vers son domicile, et arrivé dans l'ascenseur, tente de l'embrasser. Puis il exige une fellation dans la cage d'escalier. Sarah obtempère. Il emmène ensuite la fillette dans son appartement et la pénètre. Cette fois non plus, Sarah ne se débat pas, l’homme ne la bat pas pour obtenir satisfaction. Dès qu’elle sort de l’appartement, la petite fille, traumatisée, prévient sa mère et une plainte est déposée.

Le viol en France est aujourd’hui défini par le code pénal comme «tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise». Une définition pour le moins sommaire qui laisse la part belle aux interprétations. Or dans ce cas, il n’y a pas de contrainte physique : c’est cet argument que le parquet de Pontoise invoque pour ne pas retenir la qualification en viol.

Mais selon la mère de l'enfant, la petite fille n’a en effet pas réagi parce qu'elle se trouvait dans un état de sidération au moment des faits. Elle s'est confiée à Mediapart, qui a révélé l’affaire : «Elle était tétanisée, elle n'osait pas bouger, de peur qu'il la brutalise. Elle a pensé que c'était trop tard, qu'elle n'avait pas le droit de manifester, que cela ne servirait à rien, et elle a donc choisi d'être comme une automate, sans émotion, sans réaction.»

L’avocate Carine Diebolt demande la requalification en viol. «C'est un crime», a-t-elle confié à BFMTV. «J'invoque la contrainte. Il s'agit d'un homme de 28 ans et d'une fillette de 11 ans alors qu'il connaissait son âge. Elle a été intimidée. J'invoque la surprise, elle ne s'attendait pas à de tels propos. Et j'invoque la menace, il lui a dit de se taire, tous deux vivent dans la même cité, on sait très bien que la loi du silence règne.»

Les arguments de la défense n’ont pas fait fléchir le parquet, qui s’est arc-bouté sur sa décision.

Pourquoi c’est important ?

Il y a aujourd’hui scandale autour de deux notions : la contrainte et le consentement, et la loi sur le viol est à l'heure actuelle trop vague pour ne laisser place à aucune ambiguïté. Le parquet a omis de considérer qu’en cas de viol, la contrainte n’était pas que physique, comme le définit le code pénal dans l'article 222-22-1, stipulant qu'elle pouvait aussi être morale. «La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime», est-il écrit dans cet article. Or, d'aucuns arguent que c’est tout à fait le cas entre Sarah et son agresseur. Mais cette appréciation est soumise à interprétation.

Toute la question portera sur ce qu’on estime être l’âge du consentement pour accepter un acte sexuel avec un majeur. Dans un arrêt de 2005 de la Cour de cassation au sujet d’une affaire d’inceste impliquant des enfants de 1 an à 5 ans et demi, le juge a statué que ce très jeune âge des victimes ne pouvait donner lieu à un consentement éclairé. Alors il est possible de se servir de cet arrêt pour prétendre que la contrainte n’est présumée que pour les enfants en très bas âge. Le parquet de Pontoise a peut-être pensé qu’une enfant de 11 ans pouvait consentir à de tels actes ou que la défense n’avait pu apporter la preuve d’une absence de consentement. Car selon l’homme de 28 ans, l’enfant était d'accord. Mediapart a rapporté ses propos : «Vous savez, maintenant, les filles sont faciles. Avant, à mon époque, il fallait rester au moins un an avec une fille pour la baiser, mais maintenant c'est en dix minutes.»

 

Qu’en pense la société ?

Le Haut conseil à l'égalité s'est élevé contre la décision du parquet. Danielle Bousquet, sa présidente, explique dans un communiqué qu'«il est impensable que l'on interroge encore le consentement de jeunes enfants dans le cas de relations sexuelles avec des adultes. Ces faits sont des viols et doivent être jugés comme tels». Elle souhaite que «l'âge de 13 ans soit retenu comme seuil en dessous duquel les mineurs seront présumés ne pas avoir consenti». 

Les politiques et militants commencent à se saisir de l’affaire. Laurence Rossignol, l’ancienne ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes a twitté sa décision d'agir. 

Marine Le Pen s’est également exprimée sur le sujet.

Les Femen ont aussi manifesté leur indignation.

Et sur les réseaux sociaux un torrent de réactions quasi unanimes blâme le parquet de Pontoise. 

 

Toutefois, ce tollé pourrait avoir un impact. Selon Le Point, le parquet précise que l'affaire est «complexe» et qu'il requerra «un huis clos partiel à l'ouverture de l'audience, permettant aux journalistes, si le tribunal le décide, de suivre les débats». Le procès, qui devait se tenir le 26 septembre, a été renvoyé au 13 février 2018.

(*le nom a été modifié)