L'enquête sur les liens supposés du cimentier suisse Lafarge avec l'Etat islamique en Syrie révèle quelques éléments supplémentaires, comme le dévoile Le Monde dans son édition du 20 septembre. Selon des documents cités par le quotidien du soir, la direction de l'industriel aurait en effet accepté de payer l'Etat islamique pour assurer la sécurité de sa cimenterie de Jalabiya.
«L'économie de racket a commencé en septembre ou octobre 2012», raconte l'ex-directeur général adjoint opérationnel aux enquêteurs, selon un rapport que se sont procurés les journalistes du Monde. Contre des sommes allant de 80 000 à 100 000 dollars par mois, des «groupes rebelles» garantissent au cimentier que ses camions circuleront sans encombre.
Ce qui était un peu fou, c’est que toutes ces milices étaient alimentées en armes et argent par le Qatar et l’Arabie saoudite, sous le regard américain, sans aucun discernement
«Vous vous souvenez du nom de ces milices ?», demande l’enquêteur. Réponse de Bruno Lafont, un ex-PDG de Lafarge : «Ah non, elles changent d’allégeance… Ce qui était un peu fou, c’est que toutes ces milices étaient alimentées en armes et argent par le Qatar et l’Arabie saoudite, sous le regard américain, sans aucun discernement. On aime bien mettre des noms sur les choses, mais là-bas rien n’est si simple… » Puis, à partir de 2013, l'Etat islamique succèdent à ces racketteurs, et exige 20 000 dollars par mois.
Jusqu'à l'automne 2014, l'usine de Jalabiya continue de produire du ciment, malgré les combats entre Daesh et les Kurdes et les alertes répétées de la sécurité du site concernant les risques pour les employés sur place. «Comment pourrait-on caractériser ces déclarations : un manque de lucidité, la cupidité ou business as usual ?», demande un enquêteur à Bruno Lafont. Celui-ci répond qu'il n'était pas au courant.
Tous les six mois, on allait voir le quai d'Orsay, qui nous poussait à rester
Autre point intéressant révélé par Le Monde : le groupe Lafarge aurait reçu le soutien du quai d'Orsay, à la tête duquel se trouvait à l'époque Laurent Fabius. «Le gouvernement français nous incitait fortement à rester. Tous les six mois, on allait voir le quai d'Orsay, qui nous poussait à rester», affirme l'un des dirigeants.
En avril 2017, Eric Olsen, le patron de Lafarge depuis 2015, avait annoncé qu'il allait quitter ses fonctions pour tenter de désamorcer ce dossier syrien. Le conseil d'administration avait accepté sa démission mais estimé qu'il n'était «ni responsable ni pouvant être considéré comme informé des actes répréhensibles identifiés [en Syrie]».